L’illusion des élections à date fixe
La Loi électorale du Canada impose en théorie que les élections fédérales aient lieu à date fixe tous les quatre ans, mais Justin Trudeau donne tous les signes indiquant son intention d’en déclencher une après deux ans. Le chef néo-démocrate invite la nouvelle gouverneure générale à refuser une telle demande, mais tous les constitutionnalistes opinent qu’elle n’a pas de solides raisons de le faire. Cet épisode illustre bien les limites du réformisme gratuit et irréfléchi qui a conduit à l’adoption des lois sur les élections à date fixe.
Il y a vingt ans, la ColombieBritannique a décidé que ses élections provinciales auraient désormais lieu à une date fixe tous les quatre ans. Par la suite, le fédéral, le Québec et les autres provinces et territoires, à l’exception de la Nouvelle-Écosse, ont emboîté le pas, le Yukon étant le dernier en date, en 2020.
Toutes ces réformes ont été présentées par leurs auteurs comme de grandes avancées démocratiques qui rendraient le calendrier électoral plus prévisible, établiraient une plus grande équité entre le gouvernement et les partis d’opposition, réduisant ainsi le cynisme des citoyens à l’égard de leurs institutions et de la classe politique. On a même été jusqu’à dire qu’elles entraîneraient une hausse de la participation électorale.
Cependant, toutes ces lois contiennent une échappatoire grosse comme une porte de grange, puisqu’elles précisent qu’elles n’affectent aucunement le pouvoir royal de dissoudre le Parlement, pouvoir exercé à la demande du premier ministre. Deux jugements de la Cour fédérale ont confirmé que le gouvernement conserve le pouvoir d’ignorer la loi quand cela fait son affaire.
À la lumière de l’expérience vécue depuis, on est en droit de qualifier ces lois de trompeuses et de décevantes.
Trompeuses, parce que dans les faits, il est arrivé plusieurs fois que des premiers ministres déclenchent des élections bien avant la date indiquée par la loi. Personne n’a reproché à Stephen Harper de déclencher des élections anticipées en 2011 après sa défaite en Chambre, mais dix autres gouvernements l’ont fait sans avoir cette excuse. Six d’entre eux étaient minoritaires ; les quatre autres, majoritaires, ne pouvaient même pas invoquer cette circonstance atténuante.
L’opinion publique, dont on disait qu’elle voulait mordicus des élections à date fixe, ne leur en a aucunement tenu rigueur. Sept de ces gouvernements ont été réélus, et personne ne soutient que les autres aient été battus pour avoir violé l’esprit de la loi.
Les gouverneurs généraux et lieutenants-gouverneurs ont évité avec justesse de faire obstacle à des élections anticipées. Une seule fois, en Colombie-Britannique (2017), une demande de dissolution a été refusée dans un contexte de parlement sans majorité, mais pour une tout autre (et excellente) raison : des élections venaient tout juste d’avoir lieu et il était clair, après la défaite en chambre du gouvernement sortant, qu’un autre gouvernement viable pouvait être formé immédiatement. Celui-ci a d’ailleurs duré trois ans.
Ces lois sont donc trompeuses, puisqu’on peut les ignorer et que l’opinion publique, jusqu’ici en tout cas, ne s’en émeut guère. Mais aussi, décevantes, puisque certains des arguments utilisés pour vendre cette idée n’ont pas été confirmés par l’expérience. On disait que la participation électorale repartirait à la hausse, mais en réalité elle a baissé dans 9 cas sur 11 juste après la réforme, ce qui laisse croire que l’impact de ce facteur a été pour le moins surestimé.
Au contraire, on peut penser que le spectacle de premiers ministres qui, comme Harper et Marois, ont ignoré l’esprit de la loi qu’ils avaient eux-mêmes fait voter n’a fait que conforter le public dans son cynisme vis-à-vis des politiciens.