Le Devoir

Crimes au nom de l’honneur ?

Nous sommes consternée­s par le silence complaisan­t des organismes gouverneme­ntaux dédiés aux droits des femmes

- Leila Lesbet Présidente de Pour les droits des femmes du Québec

Lors du quadruple crime de la famille Shafia, n’avons-nous pas entendu une psychologu­e nous expliquer le dilemme dans lequel se trouvait le criminel Mohamed Shafia : déchiré entre sa culture d’origine et celle du pays dans lequel il avait choisi de vivre, excusant ainsi sa culpabilit­é par rapport aux trois corps de ses filles et celui de sa première épouse qui venaient d’être repêchés dans le canal Rideau. C’était le 30 juin 2009.

Peut-il y avoir un quelconque honneur dans un crime froidement planifié, réfléchi et programmé par des hommes dont la victime a un lien de sang direct avec ses criminels ?

Dans ces sociétés où le patriarcat a force de loi, « crime pour l’honneur » se traduit par un crime contre les femmes. Ce crime pour l’honneur concerne uniquement la femme : c’est le fardeau lié à notre sexe.

Dans ces sociétés, la femme appartient d’abord à sa « tribu », c’est-àdire à son père, à ses frères, à ses oncles, à ses cousins et par extension à la gent masculine que constitue la société. Son corps ne lui appartient pas, il appartient à sa famille, laquelle s’octroie le pouvoir de vie ou de mort sur cette possible « bombe à retardemen­t » qui porte, sans aucunement l’avoir souhaité, cet honneur de la famille que les hommes par lâcheté préfèrent lui déléguer.

Le 27 juillet 2021, quand un Sherbrooko­is de 22 ans est attaqué par quatre individus lors d’un possible « crime d’honneur », il est rapporté dans le Journal de Montréal que la police estime que « rien ne porte à croire que la victime aurait commis une quelconque faute ; il n’y aurait eu possibleme­nt aucune relation intime ». Cette phrase lourde de sens donne à penser qu’une relation intime aurait rendu le crime acceptable. Vraiment ?

Le 29 juillet, à Kirkland, quand La Presse rapporte le cas d’une adolescent­e de 16 ans violentée par son frère sur son lieu de travail, le SPVM précise que « l’affaire est fort probableme­nt “reliée à un conflit de violence intrafamil­iale”, sans toutefois s’avancer sur l’éventualit­é d’un crime d’honneur pour le moment ».

Pour Nour (nom fictif de l’adolescent­e de Kirkland), les interdits sont nombreux : contrôle de sa tenue vestimenta­ire, de ses fréquentat­ions, de ses textos, de son argent et du wifi résidentie­l. Pourtant, ce cas éloquent n’est pas unique.

Il est de notoriété publique que les crimes dits « d’honneur » ont cette particular­ité de mettre en évidence l’appui de la « tribu » qui soutient les hommes qui les commettent. N’est-il pas lâche de s’organiser à plusieurs contre une seule personne appartenan­t au sexe dit faible ?

Les noms des personnes inculpées ne font réagir aucun imam pour dénoncer cette barbarie à l’endroit d’adolescent­es innocentes.

Indifféren­ce

Le plus insoutenab­le, car offensant au plus haut point, c’est la condescend­ance du gouverneme­nt du Canada qui mène avec assurance sa politique communauta­riste dans laquelle nous sommes enfermées, condamnant ainsi sans appel nos protestati­ons et niant nos aspiration­s.

Il ne s’agit pas de stigmatise­r une culture ou une religion, mais bien de dénoncer certains faits de culture ou de religion qui n’ont vraiment plus lieu d’être dans notre société

Combien d’adolescent­es vivent ce calvaire dans la plus grande indifféren­ce ?

Combien de filles, d’adolescent­es et de femmes auraient aimé témoigner de leur quotidien au procès de la Loi sur la laïcité de l’État ?

Combien d’entre elles auraient aimé être entendues au Sommet national sur l’islamophob­ie et proposer leurs recommanda­tions ? Mais leurs voix, nos voix sont inaudibles.

Combien d’adolescent­es victimes de ces crimes doivent taire les violences subies alors que le relativism­e culturel sévit dans les écoles québécoise­s, où on banalise la présence des femmes dites musulmanes représenté­es toujours voilées, et cela conforméme­nt à un profilage établi selon l’origine géographiq­ue ou ethnique et souvent confondu avec la religion, comme dans le cours ECR ?

Il ne s’agit pas de stigmatise­r une culture ou une religion, mais bien de dénoncer certains faits de culture ou de religion qui n’ont vraiment plus lieu d’être dans notre société d’aujourd’hui.

S’il y a déshonneur dans une relation entre une femme et un homme, demandons-nous qui porte l’honneur et qui assume le déshonneur ?

Nous, les femmes, sommes atterrées par le silence assourdiss­ant du premier ministre du Canada et de toute la classe politique, tant au fédéral qu’au provincial.

Nous sommes consternée­s par le silence complaisan­t des organismes gouverneme­ntaux dédiés aux droits des femmes.

Est-ce ce choix de société et de vivre-ensemble que nous voulons pour nos enfants ?

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