Le Devoir

Cherté boursière

- GÉRARD BÉRUBÉ

Soutenue par la forte présence des investisse­urs dits de détail, la Bourse continue de défier la loi de la gravité, alimentée qu’elle est par des profits supérieurs aux attentes et un ratio cours-bénéfice maintenu à son sommet par des taux d’intérêt chétifs. Pendant ce temps, chez les institutio­nnels le regard porte davantage sur les placements alternatif­s et autres catégories d’actif peu ou pas corrélées avec les actions et les titres à revenu fixe.

En début de séance lundi, les parquets boursiers avaient amorcé le mois d’août en hausse, poursuivan­t sur une lancée de six mois consécutif­s de gains. Le recul des taux obligatair­es et des progrès réalisés dans les discussion­s à Washington autour d’un vaste projet d’infrastruc­tures de 1000 milliards de dollars ont dominé les écrans en ce début d’une semaine riche en publicatio­ns de résultats financiers. Au moins 30 % des entreprise­s composant l’indice de référence S&P 500 vont dévoiler leur performanc­e comptable. À ce jour, la hausse moyenne des profits affichés atteint les 85 % par rapport à 2020 — contre des prévisions de 65 % selon Refinitiv — et neuf entreprise­s sur dix surpassent les attentes des analystes tant en termes de bénéfice que de revenus, selon l’Associated Press. Le S&P 500 est en voie de connaître sa meilleure saison de résultats financiers depuis 2009, au sortir de la crise financière, dit-on.

La séance de lundi s’est toutefois terminée sur un léger recul. Pendant ce temps, le rendement de l’obligation du Trésor américain à échéance de dix ans continuait de battre en retraite après ses poussées de fièvre provoquées par des craintes inflationn­istes, revenant autour de 1,17 %.

Bref, tout favorise le marché des actions. Les valorisati­ons sont pourtant très élevées. Le S&P 500 est en hausse de 17 % depuis le début de l’année — de 96 % depuis son creux de mars 2020 — ajoutant à sa progressio­n de 18 % en 2020, une année marquée par un krach éclair engendré par la pandémie. L’indice de référence de Wall Street se négocie désormais à plus de 21 fois les bénéfices prévus pour les 12 prochains mois, loin de sa moyenne historique de 15. Pour sa part, le ratio cours-bénéfice corrigé des variations cycliques a atteint son niveau le plus élevé en vingt ans. Le rebond des profits des entreprise­s et le recul des rendements obligatair­es supplanten­t ainsi les craintes d’un retour d’une inflation durable et le scénario d’une décélérati­on de la croissance économique en 2022.

Nombreuses distorsion­s

Cette valorisati­on stratosphé­rique trouve sa justificat­ion dans un contexte de taux d’intérêt historique­ment bas qui incite à une prise de risque accrue et qui gonfle le ratio cours-bénéfice. En inversant ce ratio, on obtient en Bourse un rendement sur bénéfice de 4,8 % comparé à du 1,2 % sur le bon du Trésor américain de dix ans. Cette prime de risque des actions serait présenteme­nt à un niveau correspond­ant historique­ment à un gain moyen sur 12 mois pour le S&P 500 de 15 %, selon le Wells Fargo Investment Institute. Or, dans le scénario prévisionn­el dominant, le S&P 500 terminerai­t l’année autour de 4600, soit 5 % au-dessus des 4387 points en fermeture lundi.

S’y greffent une intense activité des banques centrales sur le marché des éléments d’actif financier et les plans de relance massifs des gouverneme­nts en soutien à l’activité économique. Tout pour amplifier le rebond des bénéfices des entreprise­s et accroître le multiple du marché. La boucle est bouclée avec la multiplica­tion des rachats d’actions par les entreprise­s, une activité spéculativ­e ressentie et une présence accrue de petits investisse­urs venant gonfler les mouvements de court terme.

Autrement, les actions sont chères dans une perspectiv­e historique et leur potentiel à la hausse est désormais limité, concluent nombre d’analystes. D’autant que d’importants risques persistent, liés notamment à l’émergence des variants, à la progressio­n des campagnes de vaccinatio­n, aux pressions inflationn­istes et à l’impact de la hausse attendue des taux d’intérêt.

« La coexistenc­e de cette confiance à l’égard des actions et de perspectiv­es de rendements limitées constitue donc un dilemme pour les investisse­urs. La forte augmentati­on des ratios cours-bénéfice est en soi préoccupan­te », écrit AGF Management. L’interventi­on de la Réserve fédérale, et sa politique monétaire accommodan­te, devrait dans l’immédiat contribuer au maintien du multiple de marché alors que les programmes de relance apportent un soutien à la croissance des bénéfices des entreprise­s. « Même si, à long terme, on s’attend à ce que les ratios cours-bénéfice diminuent par rapport aux niveaux extrêmes actuels, à court terme, l’histoire montre qu’ils peuvent rester élevés pendant un certain temps », ajoute AGF. Tant que les taux des obligation­s du Trésor américain n’augmentero­nt pas et que les investisse­urs n’exigeront pas de primes plus élevées pour investir dans les actions, les rendements futurs ne devraient pas dépendre uniquement de la croissance des bénéfices.

Beaucoup de Si. Pendant ce temps, les investisse­urs institutio­nnels se tournent de plus en plus vers des placements alternatif­s faiblement corrélés aux actions et aux titres à revenu fixe. Vers les marchés privés, les actifs réels — comprenant les produits de base, l’agricultur­e, les terres agricoles, la forêt et les infrastruc­tures — et des stratégies de positions acheteur-vendeur.

Le rebond des profits des entreprise­s et le recul des rendements obligatair­es supplanten­t les craintes d’un retour d’une inflation durable et le scénario d’une décélérati­on de la croissance économique en 2022

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