Le Devoir

Imaginer un Gilles Daigneault retraité

Conversati­on avec l’ex-critique, qui quitte la Fondation Molinari après 15 ans de loyaux services

- ARTS VISUELS JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR

Il anime la scène des arts visuels depuis si longtemps, et sous bien des (plate)formes, qu’il est difficile d’imaginer Gilles Daigneault terré dans son Plateau-Mont-Royal. Le premier directeur de la Fondation Molinari avait déjà passé le témoin en 2019 à son assistante, Margarida Mafra. Voilà qu’il abandonne ses dernières responsabi­lités et prend le cap de la retraite.

L’helléniste de formation a tout fait ou presque depuis ses débuts de critique, en 1976. Il a été catapulté spécialist­e de la gravure, a assuré pendant vingt ans la présence des arts visuels sur les ondes de la radio d’État. Les années 1980 ont été celles de son passage au Devoir. Commissair­e récurrent, il a signé les trois éditions de la triennale Artefact (2001-2007), manifestat­ion de sculptures urbaines.

Cet activiste culturel sans le titre et auteur prolifique, qu’on se plaisait encore à lire dans chaque fascicule de la Fondation Molinari, tire sa révérence. Vraiment ? Oui, assure-t-il. Mais pas tout à fait, tant il y a, chez Molinari, de quoi explorer. Les archives et les textes du peintre décédé en 2004 demeurent inépuisabl­es ; les raisons de rapprocher ses tableaux de ceux d’autres artistes, sans fin.

« L’idée, c’est ça : [passer] là où je pourrais être utile à la Fondation », dit le désormais collaborat­eur. Jadis pigiste, associé au fil des ans à plus d’un périodique (Vie des arts, Etc, Espace), il quitte la Fondation Molinari quinze ans après avoir été embauché. « Ce qui m’a fait passer devant d’autres, [c’est que] j’étais plus vieux. J’avais 60 ans et j’avais connu Molinari, dit-il. Là, il faut laisser la place. »

Modeste, il croit avoir réussi ce que d’autres auraient fait. Il n’en tire pas moins une certaine fierté pour avoir « gardé Molinari vivant », non sans tristesse : la Fondation Molinari est la seule en son genre, alors que tant d’artistes mériteraie­nt de ne pas disparaîtr­e à leur mort.

Après le grec, les hasards

Gilles Daigneault n’avait pas prévu vivre de l’art. C’est sur le grec ancien qu’il misait. Sauf qu’à son retour d’Aixen-Provence, doctorat en études hellénique­s en poche, une révolution avait transformé le Québec. Et éliminé, par ricochet, sa perspectiv­e d’enseigner le grec.

« Rien n’est linéaire, comme ma vie, confie-t-il. Les hasards font changer de direction. » Le natif de l’est de Montréal quitte alors l’île pour la Montérégie, y devient professeur de français dans une polyvalent­e, y rencontre sa compagne, la poète Denise Desautels.

« Il y a eu beaucoup de hasards, insiste-t-il, en donnant l’exemple de sa vie en bordure du Richelieu. Mon voisin était [le peintre] Léon Bellefleur. Il recevait Marcelle Ferron, Roland Giguère… Une gang de bons vivants qui jasaient facilement de leur travail.

Ce sont eux qui ont fait de Denise et moi des collection­neurs. »

C’est par la collection qu’il arrive à l’écriture, sur invitation de « Madame [Andrée] Paradis », directrice de Vie des arts. « Elle m’avait dit : “On m’a dit que vous savez écrire et que vous avez de belles oeuvres de Bellefleur. Vous allez nous faire un papier” », se rappelle-t-il.

Depuis cet automne de 1976, il n’a pas cessé d’écrire, même si l’exercice lui paraît difficile et lui prend du temps. Non sans raison, son passage au micro de Radio-Canada figure parmi ses plus chers souvenirs. Il aborde les courants artistique­s, interviewe les Michel Goulet et Irene F. Whittome d’ici, les Annette Messager et Jean Pierre Raynaud d’ailleurs.

« Je voulais prouver que les artistes étaient capables de parler aussi bien que les écrivains et les comédiens. C’était le fun d’entendre Rober Racine pendant 30 minutes. Pour un artiste visuel, il parle bien », répète-t-il en riant au souvenir de lointains témoignage­s.

Au service de l’art

Il a tenu le fort plus d’une fois, notamment au service de l’estampe, de la publicatio­n en 1981 de La gravure au Québec, 1940-1980 (avec Ginette Deslaurier­s) à l’expo Ces artistes qui impriment (2010), en passant par l’événement internatio­nal Imprimatur (1994).

De l’expérience Artefact, il considère l’édition sur le mont Royal (2004) comme « la plus belle, avec de très bons joueurs ». « Raymond Gervais disait que les gens verraient le personnage de son oeuvre, placée dans le chalet, et le retrouvera­ient derrière un arbre. Je trouvais ça beau. Tu n’y voyais rien, c’était dans ta tête », s’émerveille encore Gilles Daigneault.

Son histoire avec Guido Molinari commence au début des années 1980, lors d’une rencontre pour la radio. Il découvre un « gars convivial et drôle », loin de sa réputation de troublemak­er. Une véritable pie, aussi. « J’ai posé ma première question et il était parti, 28 minutes », affirme le nouveau retraité.

Quatre décennies plus tard, Gilles Daigneault cède sa place, non sans un dernier mot comme commissair­e. L’expo automnale de la Fondation Molinari concrétise­ra un projet qu’il énonçait déjà en 2013, alors que l’établissem­ent ouvrait ses portes au public. Elle réunira, selon son expression, « les trois gros Québécois » (Molinari, Yves Gaucher, Claude Tousignant) et l’Américain Barnett Newman. « Les trois ont fait vers 1970 un groupe d’oeuvres en hommage à Newman, oeuvres immenses qui ont été vues une fois. »

Et après ? « Des contrats à mon goût, à leur goût », suppose-t-il. Et selon les hasards de la vie.

Rien n’est linéaire, comme ma vie. Il y a eu beaucoup de hasards. Mon voisin était [le peintre] Léon Bellefleur. Il recevait Marcelle Ferron, Roland Giguère… Une gang de bons vivants qui jasaient facilement de leur travail. Ce sont eux qui ont fait »

de Denise et moi des collection­neurs.

GILLES DAIGNEAULT

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Cet activiste culturel sans le titre et auteur prolifique, qu’on se plaisait encore à lire dans chaque fascicule de la Fondation Molinari, tire sa révérence. Vraiment ? Oui, assure-t-il. Mais pas tout à fait, tant il y a, chez Molinari, de quoi explorer.

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