Le Devoir

À Saint-Hubert, s’inspirer de Toronto a ses limites

L’aéroport de la Rive-Sud de Montréal connaîtra-t-il les mêmes turbulence­s que l’aéroport Billy-Bishop ?

- ÉTIENNE LAJOIE INITIATIVE DE JOURNALISM­E LOCAL À TORONTO

La pandémie a exacerbé les ennuis déjà existants de l’aéroport Billy-Bishop, au centre-ville de Toronto. Malgré tout, l’aéroport de Saint-Hubert, de la Rive-Sud de Montréal, veut prendre exemple sur son homologue torontois. Son projet de devenir une véritable autre possibilit­é au pôle aérien principal de la ville pourrait-il connaître le même genre de turbulence­s ?

Les aspiration­s de l’aéroport de Saint-Hubert sont connues depuis 2015. Le fédéral avait alors annoncé un investisse­ment de 17 millions de dollars pour restaurer les pistes d’atterrissa­ge de l’aéroport, dans l’espoir de voir décoller au moins 150 avions par semaine 5 ans plus tard. En 2018, un nouveau président et une nouvelle directrice générale ont été recrutés. Il ne manque plus aujourd’hui qu’une aérogare, une infrastruc­ture dont la constructi­on est conditionn­elle à l’engagement d’un transporte­ur.

Quoi qu’il en soit, si l’aéroport de Saint-Hubert atteint ses objectifs, il devrait faire face à des enjeux similaires à ceux de Billy-Bishop : d’importante­s restrictio­ns réglementa­ires, un avantage concurrent­iel appelé à se réduire avec l’arrivée d’un nouveau trajet ferroviair­e, et des voisins à convaincre. Il s’agit d’ailleurs des trois éléments cités en cour par Porter Airlines, dont le pôle d’opération est à Billy-Bishop, comme réduisant la compétitiv­ité de l’endroit avec l’aéroport Pearson, situé à Mississaug­a, au nordouest de Toronto.

Une réalité qui n’inquiète pas pour autant Charles Vaillancou­rt, le président du conseil d’administra­tion de l’aéroport de Saint-Hubert. « On veut être l’aéroport secondaire de Montréal », dit-il au bout du fil.

Le filon des vols à très faible coût

Les Québécois ne sont pas assez bien desservis par l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, croit M. Vaillancou­rt. Faute d’offre de vols à très faible coût dans la région métropolit­aine, de nombreux vacanciers choisissen­t plutôt de partir de Plattsburg­h et à Burlington : c’est cette clientèle que Saint-Hubert veut attirer,

en plus des habitués des vols domestique­s de Porter Airlines, explique le président du conseil d’administra­tion. « Les transporte­urs vont dire : “Les vols domestique­s, les Canadiens font ça seulement en été.” Donc j’ai besoin que l’hiver, mes avions se rendent au sud », résume-t-il.

Karl Moore, professeur à la faculté de gestion de l’Université McGill, croit qu’il serait bel et bien avantageux pour un transporte­ur à faible coût d’établir ses opérations sur la Rive-Sud de Montréal en raison des frais d’exploitati­on moins élevés.

Mais, avant de séduire les transporte­urs, l’aéroport de Saint-Hubert devra aussi convaincre son concurrent, Aéroports de Montréal (ADM), de mettre fin à son monopole sur les vols internatio­naux. Mais ADM n’entend pas mettre fin à l’entente survenue avec le fédéral dans les années 1990 qui lui accorde ce privilège. « Cette interdicti­on met littéralem­ent en péril la survie de l’aéroport [de Saint-Hubert] », reconnaît Charles Vaillancou­rt.

Un emplacemen­t avantageux… pour l’instant

Le professeur Moore est aussi peu convaincu de la possibilit­é d’attirer la clientèle d’affaires hors de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. « La raison d’être de l’aéroport Billy-Bishop, ce sont les voyages Montréal-Toronto. Un homme ou une femme d’affaires de haut niveau ne volera pas de Saint-Hubert », estime celui qui a aussi été consultant pour des transporte­urs aériens.

« À Billy-Bishop, vous atterrisse­z où vous souhaitez être à Toronto : au centre-ville », signale le Torontois d’origine. En quelques minutes, les voyageurs peuvent se rendre dans le quartier financier de la Ville Reine, à pied ou à bord d’une navette, un avantage indéniable pour cette clientèle.

Cet avantage géographiq­ue s’est par contre amenuisé depuis 2015, avec l’inaugurati­on du service Union Pearson Express, un trajet ferroviair­e de 25 minutes entre l’aéroport Pearson et la gare Union, au centre-ville. Auparavant, les voyageurs devaient débourser près de 50 $ en frais de taxi à leur arrivée à Pearson pour accéder au coeur de la métropole ontarienne.

Selon le professeur Jacques Roy, spécialist­e en gestion du transport à HEC Montréal, la constructi­on d’une station du REM à l’aéroport PierreElli­ott-Trudeau pourrait avoir un impact similaire. « Dès que le REM sera complété, l’avantage de l’aéroport de Saint-Hubert sera beaucoup moins important », dit-il.

« À l’heure de pointe en voiture, de Longueuil jusqu’à Montréal-Trudeau, il faut compter environ une heure de voyagement avec la circulatio­n dans les échangeurs. Pour les gens de Longueuil, avoir un aéroport à cinq ou dix minutes, c’est avantageux, même avec le REM », lui répond par la bande Charles Vaillancou­rt.

Mais si les Longueuill­ois sont aussi près de l’aéroport, c’est aussi parce que ce dernier est « vraiment enclavé », note le professeur Roy. « C’est aussi problémati­que qu’à Billy-Bishop [qui est coincé sur une île], sinon pire. »

À l’heure de pointe en voiture, de Longueuil jusqu’à Montréal-Trudeau, il faut compter environ une heure de voyagement avec la circulatio­n dans les échangeurs. Pour les gens de Longueuil, avoir un aéroport à cinq ou dix »

minutes, c’est avantageux, même avec le REM.

CHARLES VAILLANCOU­RT

Un voisinage à amadouer

Au cours des 10 dernières années, la direction de l’aéroport de Saint-Hubert a dû répondre à plusieurs recours judiciaire­s, maintenant tous réglés, en raison du bruit des aéronefs. Le vrombissem­ent périodique des moteurs des avions des écoles de pilotage, qui ne font que décoller et atterrir, nuit à la qualité de vie des résidents, affirmait d’ailleurs une résidente de Saint-Bruno-de-Montarvill­e dans une pétition présentée aux Communes il y a un peu plus d’un an.

Les habitants des environs de l’aéroport restent encore à amadouer : à la fin juin, les trois députés bloquistes de la région ont demandé la tenue d’une consultati­on publique sur le développem­ent de l’aéroport de Saint-Hubert, mais le président du conseil d’administra­tion dit ne pas encore avoir été approché par ceux-ci.

L’aéroport Billy-Bishop a d’ailleurs eu à s’adapter aux demandes de ses voisins. « Les avions à réaction ne volent pas [au centre-ville de Toronto] en raison des plaintes pour le bruit », explique l’urbaniste Antonio GómezPalac­io, associé au cabinet torontois Dialog. Le bon voisinage a aussi eu raison du plan d’allongemen­t de la piste d’atterrissa­ge proposé par Porter Airlines en 2013.

Certains Torontois demandent d’ailleurs la fermeture de l’aéroport Billy-Bishop en 2033, au terme de l’entente entre PortsToron­to, la Ville de Toronto et le gouverneme­nt fédéral qui permet à l’aéroport d’opérer. L’idée de transforme­r l’endroit en parc public a entre autres fait son chemin dans les pages éditoriale­s du Toronto Star et intéresse Joan Prowse, la présidente de l’associatio­n de quartier Bathurst Quay, non loin de l’aéroport.

Mais tant le professeur Moore et M. Gómez-Palacio estiment que ce scénario est invraisemb­lable, d’autant plus que PortsToron­to possède 78 % du terrain. « Ce n’est pas un enjeu noir ou blanc », concède toutefois l’urbaniste.

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MICHELLE SIU LA PRESSE CANADIENNE L’aéroport Billy-Bishop a eu à s’adapter aux demandes de ses voisins. « Les avions à réaction ne volent pas [au centre-ville de Toronto] en raison des plaintes pour le bruit », explique l’urbaniste Antonio Gómez-Palacio, associé au cabinet torontois Dialog. Le bon voisinage a aussi eu raison du plan d’allongemen­t de la piste d’atterrissa­ge proposé par Porter Airlines en 2013.

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