Le Devoir

Pourquoi le vert, et non le bleu, est-il la couleur écolo ?

Pourquoi le vert, et non le bleu, est-il la couleur écolo ?

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Dans cette série, Le Devoir s’intéresse aux couleurs de la politique. Aujourd’hui, place au vert, teinte longtemps honnie, maintenant associée à l’engagement en faveur de notre planète bleue.

Le premier Jour de la Terre a été organisé aux États-Unis le 22 avril 1970. Des millions de marcheurs, surtout des étudiants, sont descendus dans les rues des villes pour « exprimer une révolte légitime contre la pollution de l’air, de l’eau, du paysage par la société industriel­le moderne », selon le résumé publié en une du Devoir le lendemain.

Tous les logos utilisés alors étaient plus ou moins bleus, avec des variantes introduisa­nt ici une baleine, là un soleil levant.

Les astronaute­s d’Apollo 11 venaient de fouler la « magnifique désolation » de la Lune. Les images de l’exploratio­n spatiale naissante renforçaie­nt la réalité de la Terre comme planète bleue.

Alors, pourquoi les mouvements et les partis politiques voulant préserver et restaurer l’environnem­ent ont-ils adopté par la suite le vert comme couleur distinctiv­e ? Gaia (« la Terre comme être vivant », selon la formule de 1972 de l’écologiste britanniqu­e James Lovelock) a une teinte. Pourquoi ses protecteur­s en ont-ils finalement choisi une autre ? Pourquoi le vert, plutôt que le bleu, est-il devenu la couleur de la rédemption planétaire ?

Le journal suisse Le Temps a récemment proposé une réponse à la question. La vidéo en ligne fait le lien avec le symbole, puis le drapeau de l’écologie (vert, jaune et blanc) créés par le célèbre designer Ron Cobb (19372020), mais aussi avec l’organisati­on canadienne Greenpeace, née à Vancouver il y a 50 ans exactement. Ses fondateurs avaient choisi cette double référence au vert et à la paix parce qu’ils protestaie­nt contre des essais nucléaires et la guerre du Vietnam en même temps qu’ils militaient pour l’écologie.

« L’appellatio­n “planète bleue” est assez récente. En revanche, l’associatio­n de la couleur verte à la nature et au ressourcem­ent est répandue depuis longtemps. Rousseau en parlait déjà dans ses ouvrages au XVIIIe siècle », explique Agnès Le Rouzic, porte-parole de Greenpeace Canada depuis une dizaine d’années. On l’a jointe dans sa Bretagne natale, où elle est retournée vivre depuis un an.

« Le vert, avant d’être une couleur politique, c’est le vert de la végétation, celui des arbres. Et c’est à cette référence que s’associe le mouvement écologiste d’aujourd’hui. Le vert est présent dans ce sens depuis des décennies, voire des siècles, et Greenpeace n’a fait que le rendre plus visible encore. »

Un Québec écolo

Yves Hébert a lui-même suivi sur une longue période le développem­ent de la prise de conscience environnem­entale au Québec en proposant Une histoire de l’écologie (le titre de son livre de 2006), qui pose des « regards sur la nature des origines à nos jours » (son sous-titre).

« Avant les années 1930, la science était très limitée au Québec, raconte-til en entrevue. Le clergé s’en occupait dans les collèges classiques et n’enseignait pas n’importe quoi. Le darwinisme était banni. L’écologisme n’était pas au programme, et encore moins l’idée d’une politique verte. Mais dès la fin du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe siècle, ici aussi on défendait le concept d’un sentiment de la nature, d’un environnem­ent à protéger, à conserver. »

Se « mettre au vert », à l’abri des villes en développem­ent, devient attirant pour les classes fortunées. Les clubs de chasse et pêche naissent et deviennent les premiers promoteurs de la protection du gibier, des oiseaux migrateurs, des poissons, alors que le développem­ent sauvage surexploit­e les ressources. L’homme politique Henri-Gustave Joly de Lotbinière (1829-1908) et d’autres réclament dès les années 1860 des lois pour protéger la forêt. La réserve faunique des Laurentide­s et le parc national du MontTrembl­ant sont créés en 1895, puis viennent celui de la Gaspésie (1937) et celui du Mont-Orford (1938).

Des ministères consacrés à la forêt et aux pêcheries sont créés au tournant du XXe siècle (oui, oui, avec leurs penchants pour l’industrie). On commence à réglemente­r davantage les exploitati­ons de « ressources naturelles ». « Le vert commence alors à s’installer dans le monde politique », résume M. Hébert.

Le mouvement associatif amorce aussi son travail d’éducation populaire : la Société de protection des oiseaux de la province de Québec est créée à Montréal en 1917 ; les premiers clubs 4-H dans les années 1920 et 1930 ; la Société linnéenne du Québec en 1929 ; le Club des ornitholog­ues de Québec en 1955. Une multitude de camps d’été naissent partout sur le territoire.

« Après la Seconde Guerre mondiale, on voit poindre une prise de conscience des problèmes, de la pollution surtout, ajoute M. Hébert. Les écologiste­s des années 1970 faisaient partie des clubs 4-H dans leurs années de formation. Ce lien est important : les écologiste­s ne sont pas nés comme ça spontanéme­nt. »

Le spécialist­e a recensé 700 articles sur la pollution dans les quotidiens québécois pour la seule année du premier Jour de la Terre. Les décennies suivantes s’avèrent centrales pour le développem­ent du militantis­me écolo, avec des causes successive­s : ce fut d’abord la pollution de l’air et de l’eau, puis les pluies acides, et finalement le développem­ent durable et les changement­s climatique­s d’aujourd’hui.

Le Front commun québécois pour les espaces verts, qui deviendra l’Union québécoise pour la conservati­on de la nature, puis Nature Québec, voit le jour en 1981. L’organisme compte désormais une quinzaine d’employés, 90 000 membres et une quarantain­e de groupes affiliés. Son logo en forme de feuille insère un N dans un Q. Il est tout vert. Comme le logo des Clubs 4-H avec sa feuille d’érable verte, toute verte.

L’effet Die Grünen

La formation Die Grünen (Les verts), de plus en plus forte en Allemagne, aurait été déterminan­te pour l’expansion mondiale de la nouvelle appellatio­n contrôlée. Les mouvements politiques suisses écologiste­s ont par exemple d’abord opté pour le bleu, le vert étant employé par d’autres formations — ici, le Crédit social l’utilisait depuis les années 1930.

Il existe maintenant une Charte des verts mondiaux (Global Greens) rassemblan­t des formations de plus de 100 pays et plus de 400 députés de différents parlements. Ils se disent écologiste­s, de l’environnem­ent (Norvège), de la jeunesse (Slovénie), pour une « alternativ­e » (Danemark), mais la grande majorité se présente comme verds, gröna, verd… comme verts, quoi.

Le Parti vert du Canada, fondé en 1983, est membre des Verts mondiaux. Seulement, en ce moment, les verts canadiens voient rouge, ont les bleus et broient du noir.

La cheffe Annamie Paul a été les derniers mois à couteaux tirés avec son conseil central à propos du problème israélo-palestinie­n, du conflit violent de mai entre Israël et le Hamas, d’accusation­s de racisme et d’antisémiti­sme, et on en passe, et des sujets plus loin encore de l’écologie. Les querelles intestines ont entraîné plusieurs démissions et la défection de la députée Jenica Atwin, qui a rejoint les libéraux fédéraux.

Cette crise politique n’empêche pas d’autres luttes de se poursuivre par d’autres moyens. Puis, les verts performent parfois très bien aux urnes ailleurs dans le monde. Die Grünen sont à la porte du pouvoir à Berlin et devraient jouer un rôle central dans l’Allemagne fédérale post-Merkel. « L’écologie n’appartient pas qu’aux partis verts, dit Agnès Le Rouzic. Il faut aussi souhaiter que d’autres partis s’emparent de la question. »

Le vert, avant d’être une couleur politique, c’est le vert de la végétation, celui des arbres et c’est à cette référence que s’associe le mouvement écologiste » d’aujourd’hui AGNÈS LE ROUZIC

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