LA POLICE AUX PRISES AVEC UN DÉFI DE TAILLE
Le SPVM assure prendre les grands moyens pour contrer la violence par armes à feu
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) assure prendre les grands moyens pour contrer la violence par armes à feu dans la métropole, qui a fait plusieurs morts depuis le début de l’année, mais des experts doutent que les mesures prises jusqu’à maintenant soient suffisantes pour s’attaquer à cet enjeu de taille.
En début de soirée lundi, quelques dizaines de coups de feu ont été tirés en direction d’un immeuble résidentiel du quartier Rivière-des-Prairies, causant la mort de trois hommes et en blessant deux autres dans un secteur en apparence paisible. Ce même bâtiment avait fait l’objet d’une fusillade en juin dernier, mais sans entraîner de décès.
« On partage les préoccupations et les inquiétudes de tous les citoyens qui sont [affectés] par cet événement sans précédent à Montréal. Ce qui s’est passé est inacceptable et il aurait pu y avoir des victimes collatérales », a réagi mardi l’inspecteur David Shane, porte-parole du SPVM, lors d’une conférence tenue devant une bibliothèque située à proximité du lieu du crime.
Deux des personnes décédées avaient 29 ans, tandis que l’autre était âgée de 63 ans. « Tous étaient connus des policiers », a d’ailleurs confirmé M. Shane.
On ignore actuellement quel type d’arme à feu a été utilisé et le SPVM n’a pas voulu préciser si l’affaire est associée au crime organisé.
Sur les 16 homicides répertoriés depuis le début de l’année à Montréal, 7 ont été perpétrés par des groupes criminels, a d’ailleurs précisé le porte-parole du SPVM au Devoir, en marge de cet événement.
« Les armes à feu n’ont pas leur place dans nos quartiers. Il n’est pas question que des armes à feu se retrouvent dans les mains de gens qui peuvent terroriser des résidents », a pour sa part lancé la mairesse de Rivière-des-Prairies–Pointeaux-Trembles et responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville, Caroline Bourgeois. Depuis le début de l’année, le SPVM a saisi 350 armes à feu, a-t-elle ajouté. Ce nombre a atteint 744 pour l’ensemble de l’année 2020, selon le dernier rapport annuel du SPVM.
Des enquêtes complexes
Devant la montée du nombre de fusillades dans la métropole, M. Shane a annoncé mardi que le SPVM envisage de s’allier à la Sûreté du Québec (SQ) dans le cadre d’enquêtes concernant le crime organisé, celles-ci demandant de plus en plus de temps et de ressources. Ce projet, qui est actuellement « embryonnaire », devrait permettre d’accélérer la réalisation de ces enquêtes, espère M. Shane, au moment où la violence par armes à feu est « en hausse dans les grandes villes canadiennes », y compris à Montréal.
Pendant ce temps, l’équipe consacrée à la lutte contre le trafic d’armes ne compte toujours que 23 ressources dédiées, sur une cible de 40. Le SPVM espère atteindre cette dernière d’ici au printemps prochain grâce à l’aide financière de Québec.
« Il faut rêver en couleurs pour penser que ça va être suffisant », a déclaré mardi la présidente de Mourani-Criminologie, Maria Mourani, en entrevue avec Le Devoir. Elle déplore l’absence de « vision à long terme » en matière de financement du SPVM et de ses équipes spécialisées. L’experte estime par ailleurs que le SPVM devrait s’associer non seulement avec la SQ, mais aussi avec les autres corps policiers du pays, dans sa lutte contre les armes à feu.
Coderre veut plus de policiers
L’aspirant maire Denis Coderre, qui a tenu une conférence de presse quelques minutes après celle du SPVM mardi, a d’ailleurs qualifié l’attitude de la Ville dans le déploiement de cette équipe spécialisée d’« attentisme ».
« Je ne peux pas croire qu’on va être obligés d’attendre Québec et de leur demander la charité pour venir nous aider », a-t-il lancé, tout en rappelant que le budget annuel de la Ville dépasse les 6 milliards de dollars. Le chef d’Ensemble Montréal estime ainsi qu’une augmentation des embauches au SPVM et un « meilleur financement » du corps de police s’imposent pour rassurer la population en réaction à la hausse de fusillades survenue dans la métropole dans les derniers mois.
« La présence policière n’est malheureusement pas la solution clé à la diminution des crimes », croit cependant l’avocate spécialisée en droit criminel et fondatrice de la Clinique juridique de Montréal-Nord,
Il faut rêver en couleurs pour penser que ça va être suffisant
MARIA MOURANI »
Marie-Livia Beaugé. Le nombre de policiers par 100 000 habitants est d’ailleurs plus élevé à Montréal que dans les autres grandes villes canadiennes, dont Toronto et Vancouver. Le budget du SPVM est aussi en augmentation annuellement.
« Ça prend des actions qui se veulent préventives et non réactives », ajoute Mme Beaugé, qui estime notamment qu’un meilleur financement des groupes communautaires qui soutiennent les jeunes dans les quartiers touchés par des fusillades est nécessaire.
Caroline Bourgeois interpelle d’ailleurs le gouvernement Legault sur ce point. « Tout ce qui a trait à la question des services sociaux et de financement adéquat des organismes terrain, ça concerne la Ville de Montréal, mais c’est aussi de la compétence du gouvernement du Québec », rappelle-t-elle.
La prolifération des armes à feu est d’ailleurs un phénomène qui va bien au-delà des frontières de la métropole. Dans ce contexte, le gouvernement fédéral aurait tout intérêt à resserrer les mesures de contrôle à la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis, où transitent de nombreuses armes, constate pour sa part le spécialiste en armes à feu et chercheur associé à l’Observatoire de la Chaire Raoul-Dandurand, Francis Langlois.
« La police de Montréal peut être très efficace, mais il n’y aura jamais de détecteurs de métal à l’entrée de la ville de Montréal, donc tant que ça ne change pas au niveau national, ça va continuer [la violence par armes à feu], prévient l’expert. On doit rendre ces objets-là plus difficiles à obtenir. »