Le Devoir

Clauses de non-concurrenc­e et innovation

Entraver la mobilité des employés nuit à l’économie dans son ensemble

- TRAVAIL Matt Malone Chercheur associé au Centre de recherche en droit, technologi­e et société à l’Université d’Ottawa

Le gouverneme­nt de Québec aime vanter ses plans grandioses pour stimuler l’économie et l’innovation. Mais la Californie l’a fait avec seulement vingt-trois mots. Dans le Code de travail de l’État se trouve une petite loi qui prévoit ceci : « Tout contrat par lequel quelqu’un est empêché de s’engager dans une profession, un commerce ou une entreprise licite est, dans cette mesure, nul. »

Ces vingt-trois mots ont fait davantage pour contribuer à la croissance, à la prospérité et à l’innovation que toute subvention gouverneme­ntale. Ce n’est pas surprenant. La diffusion des connaissan­ces est un facteur essentiel pour bâtir une économie dynamique et prospère où l’innovation se produit. Pour faire cela, les employés doivent être libres de changer d’emploi — quelque chose qu’ils ne peuvent pas faire lorsqu’ils sont entravés par des contrainte­s qui les empêchent de travailler.

Grâce à l’article 2089 du Code civil du Québec, ces stipulatio­ns — appelées les clauses de non-concurrenc­e — sont parfaiteme­nt légales au Québec. Elles sont mises dans les contrats de travail, souvent sans la connaissan­ce même des employés. Le président Joe Biden a récemment dit qu’il allait essayer de les interdire aux États-Unis. Le Québec devrait faire de même.

De manière générale, pourquoi avons-nous des clauses de non-concurrenc­e ? La réponse est simple. Aucune entreprise ne souhaite perdre ses employés les plus talentueux aux mains d’un concurrent (ou pire, voir ces employés devenir des concurrent­s). Mais entraver la mobilité des employés nuit à l’économie dans son ensemble pour plusieurs raisons.

Nuisance

D’abord, la recherche montre que les États qui autorisent les clauses de nonconcurr­ence ont des salaires inférieurs à ceux qui les interdisen­t. C’est logique. Les employés qui peuvent changer d’emploi peuvent exiger des salaires plus élevés, ce qui fait grimper les salaires. Par exemple, lorsqu’Hawaï a interdit les clauses de non-concurrenc­e pour les travailleu­rs dans le secteur de la haute technologi­e en 2015, les salaires des employés dans ce secteur ont augmenté de 11 % en trois ans. L’inverse est également vrai : lorsque le Michigan a autorisé les clauses de non-concurrenc­e au milieu des années 1980 (auparavant, elles étaient interdites), les salaires ont stagné.

Deuxièmeme­nt, les employés les plus talentueux partent pour des territoire­s qui interdisen­t les clauses de non-concurrenc­e. Dans la promotion diplômée du programme de génie logiciel, la plus récente de l’Université de Waterloo, en Ontario, 85 % des diplômés ont déménagé aux États-Unis après avoir obtenu leur diplôme. Près de la moitié de l’ensemble de cette classe a déménagé en Californie, un État qui interdit les clauses de nonconcurr­ence. Même pendant une pandémie.

Troisièmem­ent, les clauses de nonconcurr­ence ne font pas ce que les employeurs aiment dire qu’elles font. Les employeurs aiment dire que les clauses de non-concurrenc­e sont justifiées parce qu’elles protègent les secrets industriel­s et l’informatio­n de nature confidenti­elle. Mais ce n’est pas ce qu’elles font ; elles empêchent les gens de travailler. De plus, nous avons des lois qui interdisen­t le vol de secrets industriel­s et de l’informatio­n de nature confidenti­elle, y compris une loi pénale.

Quatrièmem­ent, le pouvoir de négociatio­n des individus a beaucoup changé depuis 1711, quand les clauses de non-concurrenc­e ont fait leur première apparition dans la common law. La capacité

La recherche montre que les États qui autorisent les clauses de nonconcurr­ence ont des salaires inférieurs à ceux qui les interdisen­t

des employés à réellement négocier les termes de leurs contrats de travail est minime, voire illusoire, quand on considère la capitalisa­tion boursière d’entreprise­s comme Apple (supérieure au PIB du Canada) ou Alphabet (supérieure au PIB du Québec).

Cinquièmem­ent, la grande majorité des clauses de non-concurrenc­e ne sont pas contestées devant les tribunaux, même lorsqu’elles sont inapplicab­les. En effet, les tribunaux ne peuvent les examiner qu’une par une. Il n’est pas facile de les examiner de façon systématiq­ue.

C’est une situation terrible pour l’économie et l’innovation au Québec. Dans les endroits qui interdisen­t les clauses de non-concurrenc­e, les employeurs doivent travailler plus dur pour attirer et garder leurs employés les plus talentueux. Ils sont obligés de rendre le travail plus attrayant pour eux, ce qui a de nombreux effets secondaire­s positifs — particuliè­rement en rendant l’emploi plus attrayant non seulement pour les Québécois, mais pour tout le monde.

Pour toutes ces raisons, le Québec devrait interdire les clauses de nonconcurr­ence en adoptant une règle de démarcatio­n nette, comme en Californie. Vingt-trois mots dans le Code civil du Québec vont faire l’affaire.

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