Le Devoir

Couleur mal aimée, couleur sacrée

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Le choix du vert comme symbole coloré de l’écologie n’a rien de naturel. Avant de le devenir, le vert était un malaimé de la palette. Les Grecs anciens n’avaient pas de mot pour le désigner. Les peintres ont longtemps eu de la difficulté à produire cette teinte. Pendant des siècles, elle symbolisai­t en plus le désordre, le poison, toutes les créatures maléfiques. Dans les poèmes arthuriens, le Green Knight incarne peut-être le diable lui-même. Un film sur cette légende vient d’ailleurs de sortir.

Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle, et encore plus au XXe, que cette couleur a commencé à évoquer la nature et, par la suite, la santé, le sport et l’écologie. « Le vert se revalorise lentement lorsque les habitants des villes se sentent de nouveau attirés par la campagne, la nature, la végétation, écrit Michel Pastoureau dans le livre qu’il a consacré à cette teinte. Plus récemment, ces vertus prêtées au vert ont été portées au paroxysme et ont pris une dimension éthique. Tout se doit d’être vert, couleur apaisante et salvatrice. »

Le vert arrive maintenant en deuxième place (avec de 15 à 20 % des voix) des couleurs préférées dans certains sondages européens, après le bleu qui domine la moitié des réponses. L’historien Pastoureau note que le mot luimême devient une idéologie, une position politique, un engagement. Il semble presque impossible de détacher la couleur de ses dimensions écologiste­s actuelles, comme il y a quelques décennies le rouge était immanquabl­ement prisonnier d’une symbolique communiste très forte.

L’écologisme n’est d’ailleurs pas la seule perspectiv­e sur le monde à se réclamer de la teinte verte. L’islam se l’est appropriée il y a presque 1000 ans, notamment parce que le prophète Mahomet la préférait entre toutes. Le drapeau de l’Arabie saoudite reproduit sur cette couleur typique la chahada, la profession de foi musulmane proclamant qu’Allah est la seule divinité et Mahomet, son messager. Ce drapeau où apparaît aussi un sabre de conquête n’est jamais mis en berne. Pour les musulmans, le vert est « constammen­t pris à bonne part », note encore Michel Pastoureau. Sa symbolique est associée à celle du paradis, du bonheur, des richesses, de l’eau, du ciel et de l’espérance. « Le vert est devenu une couleur sacrée. »

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