La ferme Rose et Lion champignonne
La ferme Rose et Lion, dans Charlevoix, fournit des restaurants, des marchés publics, des particuliers et des maraîchers
Élie Comtois prenait plaisir à tester différentes cultures de champignons en plein coeur de Montréal. Entre leurs cours à l’université, le jeune homme et son amoureuse Léïa St-Pierre inoculaient la terre de leur jardin où, sous les tomates, poussaient des pleurotes. Au gré des découvertes et des tutoriels sur YouTube s’est ainsi créée une belle raison de partir vivre à la campagne alors que le Québec se reconfinait l’hiver dernier. De là est née Rose et Lion, leur ferme de champignons aux Éboulements, dans Charlevoix.
« Ça a été une décision rapide. On ne se voyait pas passer tout l’hiver à Montréal, on avait envie de faire quelque chose d’un peu plus concret », raconte Léïa St-Pierre, au bout du fil. « Dans notre milieu, ça parle beaucoup de faire pousser des légumes, d’aller vivre à la campagne, alors on s’est dit : on va l’essayer, on va voir si on aime ça. »
Une visite de courtoisie chez Valérie Leblond, de la ferme maraîchère Le Jardin des Chefs, a scellé la suite des choses. « Je n’avais rien de prévu dans ma tête. J’avais un espace à louer disponible, mais je n’étais pas rendue là », raconte celle qui produit du piment gorria. « On jasait et Élie m’a montré des photos des champignons qu’il cultivait. Quand j’ai vu ce qu’il faisait […] », laisse-t-elle tomber. Quelque temps plus tard, le couple lui proposait un « magnifique projet ».
« On a eu une bonne étoile, estime Léïa. On l’avait rencontrée il y a deux ans en venant travailler à la ferme. Elle a été géniale, elle a vu le potentiel de notre projet et nous a permis de démarrer sans devoir accumuler de l’argent pendant des années pour pouvoir avoir [un lieu de production]. »
Leurs nouveaux espaces dans Charlevoix leur ont permis de se lancer dans la culture intérieure de champignons. « Toutes nos installations sont sur 1000 pieds carrés. On réussit à fournir la grande partie des restaurants de Baie-Saint-Paul, les marchés publics, des particuliers et des maraîchers aussi. C’est une optimisation de l’espace », souligne Élie Comtois. Des seuls pleurotes qu’ils cultivaient à Montréal, ils produisent
Seulement 5 % des champignons de culture consommés au Québec viennent d’ici. On peut se serrer les coudes et travailler ensemble pour que les champignons d’ici deviennent la norme [en épicerie]. C’est ça le but. LÉÏA ST-PIERRE »
maintenant une dizaine de variétés de champignons, dont l’hydne hérisson (lion’s mane mushroom, en anglais) qui, avec le pleurote rose, a inspiré le nom de la jeune entreprise.
« En bâtissant ce projet-là, on s’est rendu compte qu’on invitait les amis et les connaissances à parler d’une production de nourriture haute en protéine et à faible empreinte carbone, ajoute l’étudiant en sciences environnementales à l’Université Concordia. Plutôt que de parler des changements climatiques ou de situations socio-économiques difficiles, on se dit : “OK, qu’est-ce qu’on peut apporter comme solution ?” Ça, ça nous nourrit. »
La culture champignonne
Il n’y a pas qu’eux que les champignons et leurs propriétés nourrissent. Au Québec, les fermes spécialisées se multiplient — on en compte une vingtaine —, grâce à des techniques de culture qui s’améliorent et deviennent plus accessibles. C’est une bonne nouvelle, selon les deux entrepreneurs, qui les voient autant comme des concurrents que comme des collègues. « Seulement 5 % des champignons de culture consommés au Québec viennent d’ici, souligne Léïa St-Pierre. On peut se serrer les coudes et travailler ensemble pour que les champignons d’ici deviennent la norme [en épicerie]. C’est ça le but. »
Nos connaissances à propos des champignons évoluent. Les recherches du mycologue Paul Stamets ont d’ailleurs permis de souligner les propriétés de différentes espèces sur le système immunitaire des humains — et même des abeilles.
L’attitude des consommateurs change aussi : la forte teneur en protéines de certaines variétés permet de faire du champignon un plat principal. « Les gens s’intéressent de plus en plus à ça comme source de protéine, explique Élie Comtois. L’hydne hérisson, par exemple, compte 20 % de protéines au poids sec. » Un constat qu’il suit immédiatement d’une suggestion culinaire : « Avec sa texture dense, on se fait [une version] “poulet frit” avec dans un peu de gingembre dans la panure. C’est délicieux ! Il y a tellement de manières de travailler les champignons. »
À échelle humaine
Le succès est déjà au rendez-vous en cette première année d’existence pour Rose et Lion. Mais Léïa St-Pierre et Élie Comtois savent déjà que leur ferme restera à échelle humaine : bâtir un empire ou devenir propriétaires terriens, très peu pour eux. Et s’ils constatent que la demande est bel et bien là, les deux vingtenaires soulignent d’emblée que ce projet de ferme, « ce n’est pas une fin en soi ».
« L’idée est de continuer ça pendant cinq ans. De le faire de manière saisonnière, de mars à octobre, et de planifier la saison suivante durant l’hiver. On a [également] l’idée d’une coop. On veut aussi faire de la recherche et voir ce que les champignons peuvent apporter pour enrichir les sols. On se rend compte qu’on fait beaucoup de compost qui est [utile] pour les piments de Valérie. Et l’idée, c’est aussi de pouvoir terminer nos études. »
Pour l’heure, le temps est à l’expérimentation : des cultures sur bûches ou dans des contenants réutilisables sont dans les cartons, tout comme la préparation d’hydnes marinés au piment gorria, fleur d’ail et laurier du Jardin des Chefs. « On verra par la suite, il pourrait y avoir des champignons déshydratés », s’enthousiasme Valérie Leblond, qui a pris le duo sous son aile. « Ils sont calmes, intelligents, avec beaucoup de talent et un respect pour la nature. C’est prometteur et ça donne de l’énergie ! Le danger, c’est l’infini des possibles ! »