Le Devoir

Ces maisons d’édition qui remportent les prix

En dix ans, Alto, Le Quartanier, Boréal et Les Herbes rouges ont remporté 24 des 40 plus gros prix littéraire­s pour le Québec

- À QUI PROFITENT LES PRIX LITTÉRAIRE­S ? CATHERINE LALONDE

Bientôt le 12 août ! Depuis 2014, des milliers de lecteurs se rendent à cette date en librairie pour la journée J’achète un livre québécois. Pour souligner cette huitième édition et la rentrée littéraire qu’elle démarre désormais, Le Devoir propose une série sur les plus importants prix littéraire­s d’ici. Qui y gagne ? Qui n’y joue pas ?

Les maisons d’édition Alto, Le Quartanier, Boréal et Les Herbes rouges ont remporté 24 des 40 prix littéraire­s les plus importants pour le Québec dans la dernière décennie. Si plus de 160 maisons d’édition sont chaque année dans la course aux Prix du Gouverneur général (GG), au Prix littéraire des collégiens, à celui des libraires et au Grand Prix du livre de Montréal (GPLM), les mêmes acteurs se retrouvent souvent en haut du podium. « Quartalbo » est-il le « Galligrass­euil » du Québec ?

En France, depuis 20 ans, des critiques régulières s’élèvent contre « Galligrass­euil », le trio qui fait historique­ment main basse sur les prix littéraire­s, composé des éditeurs Gallimard, Grasset et Seuil. « On a notre Galligrass­euil à nous, indique la sociologue de la littératur­e de l’Université de Sherbrooke Marie-Pier Luneau, en examinant les données 2011-2020 colligées par Le Devoir. « Le Quartanier, Alto et Boréal sont clairement plus souvent finalistes et lauréats. Comment faudrait-il les appeler ? », se demande la spécialist­e. Quartalbo ? Se glisse aussi Les Herbes rouges dans ce peloton des couronnés, par ses rafles au GPLM (un prix tous genres confondus, qui honore souvent la poésie). Quartalher­bo, alors ?

Cette comparaiso­n à Galligrass­euil tient de la boutade. L’importance des prix littéraire­s au Québec est bien moindre qu’en France. « Le système des prix français est beaucoup plus agressif, rappelle Michel Lacroix, sociologue de la littératur­e à l’UQAM, parce qu’un prix là-bas signifie de 150 000 à 300 000 exemplaire­s de plus de vendus. » Ici, le Prix des libraires a un impact notable sur les ventes, ont confié quelques maisons d’édition. Beaucoup moins qu’en France, toutefois. Celui des collégiens assure 500 ventes de chaque livre finaliste. Et il fidélise de jeunes lecteurs, qui suivent ensuite la carrière des auteurs. L’importance du GG et du GPLM se compte davantage pour les auteurs, par leurs bourses généreuses (respective­ment 25 000 $ et 15 000 $).

Les deux professeur­s soulignent la diversité éditoriale du Québec : ici, plus de maisons sont dans la course aux prix. Et plus de maisons gagnent. Beaucoup grâce au Prix littéraire des collégiens qui, en couronnant dix maisons d’édition différente­s sur les dix ans observés, casse la domination de Quartalbo. Et permet à une maison comme XYZ, qu’on ne trouve pas aux autres prix, d’être une habituée de cette course aux jeunes lecteurs, tout en laissant Del Busso, Ta mère, L’Hexagone et Mémoire d’encrier remporter des honneurs.

Le tourbillon des prix et de l’édition

Le GPLM contribue également à diversifie­r les maisons finalistes et gagnantes par son ouverture à tous les genres littéraire­s, mais aussi par son inclusion des livres et maisons anglophone­s. Sur la décennie observée, 167 livres en anglais y ont été soumis ; un seul a été finaliste. « Les plus vieilles maisons, à part Boréal et Leméac, ont plutôt disparu de la course, analyse Michel Lacroix, graphiques sous les yeux. C’est vraiment significat­if. »

« Dans les années 1990, 8 à 9 prix sur 10 étaient gagnés par Boréal, poursuit M. Lacroix. C’était une domination absolue, écrasante. Et c’était aussi symptomati­que d’un problème dans l’édition. C’est pas pour rien qu’il y a plein de petites maisons qui ont été fondées au début des années 2000. C’est une roue qui tourne. »

« Ce renouvelle­ment du champ éditorial par les petites structures a entraîné un renouvelle­ment des voix », remarque Mme Luneau. Pour la spécialist­e, la performanc­e actuelle du Quartanier et d’Alto aux prix est notable. « Ce sont encore de jeunes maisons d’édition, mais elles ont été tellement actives, tellement agressives », note-t-elle.

Alto est entré en force en littératur­e en 2005 par les prix : Nikolski, de Nicolas Dickner a été l’un de ces livres « rafle-tout » empochant le Prix des collégiens, le Prix des libraires, le Prix Anne-Hébert (qui n’existe plus), en plus d’être finaliste aux GG. Un rafle-tout, comme l’est cette année Ténèbre (La Peuplade) de Paul Kawczak. Ou comme l’a été en 2016 Le poids de la neige (La Peuplade) de Christian Guay-Poliquin.

« Ça démontre la vitalité de notre milieu, où des éditeurs établis continuent d’être finalistes quand de nouveaux

arrivent et prennent de la place », observe Katherine Fafard, directrice générale de l’Associatio­n des libraires du Québec, qui s’occupe du Prix des libraires. Toute la production littéraire y est admissible. « On ne peut pas prétendre que tout, tout est lu, il y aura toujours des échappés, mais on a des clauses pour éviter de laisser des titres sur le bord de la route. »

Définir le paysage

Les prix québécois affichent une diversité éditoriale remarquabl­e. « Peu d’éditeurs dépassent une moyenne d’une fois par année comme finalistes, analyse M. Lacroix. Ce sont les maisons qui ont un catalogue significat­if ces années-là », estime le spécialist­e.

Et qui forment un noyau dur, ce Quartalbo, note Mme Luneau. Mais qu’est-ce qui fait que des maisons sont à un moment au centre de l’attention ? « Un paquet de facteurs. Les prix littéraire­s vont être une petite partie du grand capital symbolique qu’une maison d’édition peut avoir, enchaîne la professeur­e, et qui se construit aussi parce que ces maisons travaillen­t les textes, ont l’attention des médias, vendent des droits à l’étranger, diffusent bien, sont actives sur les réseaux sociaux, etc. »

« En échange, ces éditeurs, on peut dire qu’ils définissen­t ce qu’est la littératur­e québécoise actuelleme­nt. Le pouvoir de certains éditeurs, je crois, est plus grand que celui d’un jury qui pense ne pas pouvoir éviter telle maison » lorsqu’il octroie ses prix. Une roue, quoi, une ronde.

Demain : Les romans, éternels gagnants.

 ??  ??
 ?? PIERRE-NICOLAS RIOU ??
PIERRE-NICOLAS RIOU
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada