Pas toujours égalitaires, les paralympiques
Équipements et prothèses haute technologie ne sont pas à la portée de tous les athlètes
Le rideau est tombé sur les Jeux olympiques, mais pas sur les compétitions à Tokyo. Dans quelques semaines, ce sera au tour de Marie-Ève Croteau de s’envoler vers la capitale japonaise pour participer à ses deuxièmes Jeux paralympiques, une compétition qui se veut égalitaire, mais où les iniquités sont parfois flagrantes. La paracycliste québécoise utilisera un nouvel équipement pour l’occasion : un vélo et deux orthèses créées spécialement pour elle par le centre de recherche TOPMED de Québec. Des pièces d’équipement qui devraient lui permettre d’offrir la meilleure performance possible. « Il est clair que la posture est extrêmement importante à vélo : il faut être capable d’appliquer le maximum de force avec nos membres inférieurs et contrer la résistance frontale », explique le spécialiste en biomécanique François Prince, professeur à l’Université de Montréal.
Heurtée par une voiture à l’âge de 14 ans et atteinte de myélite (une maladie de la moelle épinière) dixsept ans plus tard, Marie-Ève Croteau ne peut pas utiliser son bras gauche et sa jambe gauche.
Maintenant, elle peut choisir entre deux pièces d’équipement pour supporter sa jambe gauche quand elle roule à vélo. Une botte pour pouvoir pédaler debout, « en danseuse », — un « vrai plus », puisque sa jambe n’est pas assez forte pour grimper sans équipement — ou une orthèse en dessous de sa chaussure qui lui permet pour la première fois « d’avoir un semblant de jambes de cycliste normales, les mollets à l’air », dit l’athlète en souriant. Son bras gauche, lui, est fixé sur le guidon à l’aide d’une orthèse. « Je ne peux pas rêver mieux, honnêtement », ajoute-t-elle. Fabriquer l’équipement parfait aura pris deux ans.
« Marie-Ève avait déjà un vélo, mais on cherchait quelque chose de plus aérodynamique, de plus performant », explique Élizabeth Lafrance, orthésisteprothésiste chez TOPMED. Une réussite, puisque la vitesse de pointe de la paracycliste est de 53,9 km/h. « Et moi, je pousse à une jambe ! » fait remarquer Marie-Ève en riant.
Iniquité
Mais l’équipement à la fine pointe de celle qui est double championne mondiale au contre-la-montre témoigne aussi de l’iniquité de certaines compétitions paralympiques. S’il doit être approuvé par l’Union cycliste internationale et doit pouvoir être fabriqué de nouveau à la demande de tout autre athlète, son prix, lui, est fixé par le fabricant et il n’y a pas de montant maximal. Les athlètes qui ont les ressources pour se procurer un tel équipement sont donc rares.
« En réalité, c’est un peu jouer sur les mots », soulève Marie-Ève Croteau. Ce n’est pas tout le monde qui peut s’offrir « une orthèse à 150 000 $ », note-t-elle.
Le professeur François Prince est du même avis. « Il y a des pays riches qui dépensent des milliers — si ce n’est pas des millions — de dollars pour l’équipement prothétique de leurs athlètes, tandis que d’autres ne peuvent même pas s’aligner avec les standards paralympiques. On parle de 40 000 $ à 50 000 $ pour une prothèse de membre inférieur : c’est de la haute technologie. »
Il s’agit de dépenses importantes, même pour des athlètes paralympiques provenant de pays riches comme le Canada. Ces derniers ne reçoivent d’ailleurs pas de rémunération pour leurs médailles, contrairement à leurs homologues olympiques qui peuvent toucher entre 10 000 et 20 000 $.
Le spécialiste en biomécanique, qui a accompagné l’équipe de boccia canadienne pendant trois ans, est bien conscient de l’effort qu’un athlète paralympique met dans sa préparation. Pour pallier ces iniquités d’accès, il aimerait que l’on « puise dans toutes les ressources possibles pour contribuer au sport ». « Les gens ne perçoivent pas l’immensité du travail de longue haleine que ces gens-là doivent effectuer pour être capables de s’entraîner et de performer. »
L’iniquité d’équipement est d’autant plus présente dans les sports « où les athlètes utilisent une prothèse pour remplacer un de leur membre », ajoute celui qui est aussi chercheur associé à l’Institut national du sport du Québec.
L’Association internationale d’athlétisme, qui interdit toute aide mécanique pouvant avantager un athlète, a jusque-là « toléré le développement de technologies pour la course et le saut en longueur », n’ayant « pas assez de données pour prouver si oui ou non les prothèses offrent un avantage », explique-t-il. Capables d’absorber les chocs et de propulser les athlètes, ces nouvelles prothèses sportives créent selon lui « une nette différence comparativement à d’autres pieds prothétiques ».
Au-delà de l’équipement
Le professeur Prince constate que « même dans le monde paralympique, il y a parfois des iniquités flagrantes, sous-jacentes à la classification des athlètes » selon leur type de handicap — et non selon leur type d’équipement. Il reconnaît toutefois que la classification actuelle reste le moyen le plus efficace de répartir les athlètes. Avec des sous-catégories, « on n’en finirait plus », note-t-il.
Marie-Ève Croteau, qui a d’ailleurs payé de sa poche une partie de son équipement sportif, modère son importance. « Ça ne fait pas tout. La première affaire, c’est vraiment la forme physique, la capacité de prendre la charge », souligne la paracycliste.
L’équipement, « c’est plus une tranquillité d’esprit », complète l’orthésisteprothésiste Élizabeth Lafrance.
Les Jeux paralympiques se tiendront du 24 août au 5 septembre. La délégation canadienne compte 128 athlètes, incluant les guides, qui prendront part à la compétition dans 18 sports.
Il y a des pays riches qui dépensent des milliers — si ce n’est pas des millions — de dollars pour l’équipement prothétique de leurs athlètes, tandis que d’autres ne peuvent même pas s’aligner avec les standards »
paralympiques FRANÇOIS PRINCE