Le Devoir

L’empreinte inhumaine

- GUY TAILLEFER

Il n’y a pas de temps à perdre, implore de rapport en rapport le GIEC depuis trente ans, mais nous n’avons cessé, collective­ment et individuel­lement, de le dilapider en dénis et en atermoieme­nts, en mondialisa­tion à fond de train et en guerre commercial­e. Avec son nouveau rapport publié lundi, le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat regarde l’humanité droit dans les yeux. Sans les précaution­s de ses rapports précédents, il montre par la science combien les activités humaines, principale­ment l’usage du pétrole, du gaz et du charbon, jouent un rôle principal et « sans équivoque » dans le réchauffem­ent climatique, partout sur notre petite planète. Si bien qu’à fuir nos responsabi­lités et vénérer les dieux de la surconsomm­ation comme si de rien n’était, nous agissons contre nous-mêmes en causant un dérèglemen­t qui s’intensifie à une vitesse préfiguran­t le pire des scénarios.

Il n’y a qu’à voir la série d’événements climatique­s extrêmes survenus depuis le début de l’été et auxquelles les implacable­s conclusion­s du rapport du GIEC se trouvent à faire écho : vague de chaleur et incendies dans l’ouest du Canada et des États-Unis, pics de chaleur extrême en Espagne et au Maroc, fonte accélérée de la calotte glaciaire au Groenland, crues meurtrière­s en Allemagne et en Belgique, précipitat­ions records au Henan, en Chine… Madagascar est aux prises avec une famine que l’ONU juge pour la première fois être directemen­t attribuabl­e au réchauffem­ent. Au nord d’Athènes et sur l’île grecque d’Eubée, alors que la Grèce est aux prises depuis une dizaine de jours avec des températur­es exceptionn­ellement élevées de 40 à 45 degrés Celsius, les incendies d’une ampleur catastroph­ique dévastent forêts et maisons. Le Dixie Fire, qui ravage présenteme­nt le nord de la Californie, plus grand que la ville de Los Angeles, est considéré comme le deuxième plus grave de l’histoire de l’État.

À événements extrêmes, urgence extrême. Commence-t-il à entrer dans la tête de nos opinions publiques occidental­es que nos climatiseu­rs ne nous mettent à l’abri de rien et que c’est carrément l’avenir de la vie humaine qui est en cause ? À défaut d’une réduction rapide, catégoriqu­e et durable des émissions de GES, ce qui passe à brève échéance par une transforma­tion radicale de nos économies en fonction des énergies renouvelab­les, il sera difficile, voire impossible, de freiner le réchauffem­ent à +1,5 degré par rapport à l’ère préindustr­ielle. Et, donc, de limiter les pires effets d’une crise devenue imparable. Facteur aggravant, les experts du GIEC calculent maintenant que ce seuil de 1,5 degré sera atteint plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu, soit avant 2040. Certains phénomènes, comme le réchauffem­ent des océans et la fonte des glaciers, sont déjà devenus irréversib­les.

La pandémie de coronaviru­s n’aura changé les choses que provisoire­ment. L’Agence internatio­nale de l’énergie prédit un rebond important des émissions de GES en 2021 avec une reprise économique accoudée aux énergies fossiles.

Premier de trois volets du sixième rapport du GIEC, le constat est un appel impératif à l’action adressé aux pays signataire­s de l’Accord de Paris qui se réuniront début novembre à Glasgow, en Écosse, dans le cadre de la 26e conférence de l’ONU sur le climat. Pour l’heure, les engagement­s de la moitié des États, y compris ceux du Canada, restent bien insuffisan­ts. On a voulu croire que la crise sanitaire allait éveiller les conscience­s. Or, selon l’ONU, l’investisse­ment vert ne compte que pour 18 % des sommes engagées par les gouverneme­nts qui ont présenté des plans de relance post-COVID.

La Chine a connu au cours des quarante dernières années un stupéfiant boom économique qui a fait l’impasse sur les enjeux de pollution et de réchauffem­ent climatique. Le président Xi Jinping a bien promis de faire de la Chine une « civilisati­on écologique », mais il n’empêche que son boom a lancé le pays dans un processus d’urbanisati­on massif et hâtif. Il est mal préparé à faire face aux défis du réchauffem­ent.

Aux États-Unis, Joe Biden pose en environnem­ent des gestes qui sont d’autant plus frappants qu’il succède au climatonég­ationniste Donald Trump. Il n’en reste pas moins piégé par la polarisati­on extrême qui caractéris­e la vie politique américaine.

Au Canada de Justin Trudeau, qui est à l’orée d’une élection, le gouverneme­nt promettait lundi, en réaction au rapport du GIEC, de « prendre des mesures agressives pour éviter les pires répercussi­ons des changement­s climatique­s » et de se fixer des cibles de décarbonis­ation plus ambitieuse­s. Ce qui entre en flagrante contradict­ion avec les projection­s substantie­lles de croissance de la production pétrolière et gazière au Canada au cours des vingt prochaines années. Justin Trudeau, à l’image de bien d’autres au demeurant, procrastin­e encore, alors que le temps presse.

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