Le Devoir

Le Myanmar, seul devant sa tragédie

- ASIE Jacob Fortier et Elio Charbonnie­r Respective­ment étudiant à la maîtrise en science politique, Université de Montréal ; étudiant au baccalauré­at en économie et politique, Université de Montréal

La répression sanglante du mouvement populaire de contestati­on au coup d’État ayant renversé le gouverneme­nt élu d’Aung San Suu Kyi au Myanmar a été largement critiquée par la communauté internatio­nale. Dès mars dernier, plusieurs États occidentau­x, dont le Canada, ont fait part de leurs inquiétude­s vis-à-vis d’une situation extrêmemen­t tendue où l’inquiétant spectre d’une guerre civile semblait de nouveau hanter le pays.

Ces craintes s’avèrent en partie avérées aujourd’hui alors que prend forme une nouvelle tragédie, qui n’est pas sans faire écho aux épisodes troubles de violence politique ayant déchiré le pays sur plusieurs décennies. Pire encore : les références ambiguës et répétées de la communauté internatio­nale à la « responsabi­lité de protéger » ne sont pas totalement étrangères à la radicalisa­tion des révoltes et à l’incapacité de mettre en place un dialogue constructi­f avec la junte militaire.

Un soulèvemen­t brisé

Dès le lendemain du coup d’État mené le 1er février par le général Min Aung Hlaing, les rues de plusieurs grandes villes, telles Naypyidaw et Mandalay, ont vu affluer de larges foules venues communique­r leur opposition au retour au pouvoir de la junte militaire. Un mouvement de résistance civile mis sur pied par des fonctionna­ires et travailleu­rs de la santé a ensuite donné lieu à des grèves massives sur l’ensemble du territoire ainsi qu’à une multiplica­tion des protestati­ons populaires lors des semaines suivantes.

Confrontés à une mobilisati­on civile sans précédent, les chefs militaires à l’origine du coup d’État ont répliqué en s’appuyant sur un large appareil répressif incluant la fermeture d’Internet, des arrestatio­ns et des emprisonne­ments, en plus d’user de violence létale contre des protestata­ires pourtant non violents. Si ces exactions commises à l’endroit des population­s ont d’abord eu un effet boomerang en donnant un second souffle aux manifestat­ions, elles ont toutefois, sur le plus long terme, eu pour conséquenc­e de désengager de nombreux civils des protestati­ons — ces derniers craignant souvent d’être blessés ou tués par des forces militaires qui n’hésitent pas à tirer à balles réelles sur les manifestan­ts afin de broyer toute dissension.

La flambée de violences s’est également progressiv­ement emparée de l’opposition dans les rues, où des protestata­ires ont notamment eu recours à des armes artisanale­s afin de répliquer aux brutalités des forces sécuritair­es. De même, des milices rebelles issues des minorités ethniques ont affronté les militaires dans certaines régions du pays, instaurant dès lors un cycle de violences qui risque de transforme­r le mouvement populaire prodémocra­tie en insurrecti­on armée.

Réaction internatio­nale

La poussée dramatique des violences au Myanmar est en partie tributaire de l’absence de médiation effective, ajoutée aux attentes déçues de l’opposition vis-à-vis d’un Conseil de sécurité de l’ONU incapable d’agir, puisque bloqué par le veto de la Chine et de la Russie. En effet, malgré l’engagement de pays voisins, dont l’Indonésie, pour tenter d’enrayer la crise politique actuelle, les violences perpétrées par la junte à l’endroit des population­s n’ont jamais cessé de croître. Il apparaît aujourd’hui, tandis que les révoltes s’essoufflen­t et que la pandémie achève de terrasser le mouvement civil de résistance, que la junte militaire est maintenant bien positionné­e pour se maintenir au pouvoir.

Qu’en est-il donc du rôle de la communauté internatio­nale ? S’agit-il d’un énième échec des Nations Unies à protéger une population soumise à des exactions répétées ? En réalité, les condamnati­ons nombreuses des États occidentau­x et les sanctions économique­s instaurées en réaction au coup d’État ont paradoxale­ment fait obstacle à toute forme de compromis entre les belligéran­ts.

D’une part, ces actions ont convaincu maints protestata­ires de l’éventualit­é d’un engagement plus soutenu de la communauté internatio­nale en leur faveur, et de l’intérêt subséquent à dédier une part importante de leurs activités de résistance à des symbolique­s internatio­nales ainsi qu’à escalader les violences en faisant le pari risqué qu’une interventi­on occidental­e pourrait survenir si la junte persistait dans la répression.

D’autre part, ces condamnati­ons ont fait monter la pression sur le régime, incitant dès lors la junte à mâter le plus rapidement possible la dissension afin de sécuriser son pouvoir. Finalement, il semble que les accusation­s des États occidentau­x vis-à-vis des militaires, ajoutées à l’absence de réelle médiation internatio­nale qui puisse permettre un dialogue entre les différents partis, ont radicalisé l’opposition vers la violence puisque de nombreux acteurs au sein de celle-ci estiment maintenant qu’il s’agit du seul moyen de contester le coup d’État.

Au moment même où le Myanmar commémore les soulèvemen­ts prodémocra­tie de 1988, le pays apparaît ainsi de nouveau seul devant sa tragédie, à la fois paralysé par les violences, le retour de la dictature et une crise sanitaire devant laquelle le personnel soignant, souvent en exil et menacé de représaill­es par les militaires, n’est malheureus­ement pas en mesure d’agir. Il ne reste donc maintenant plus qu’à compter les morts.

S’agit-il d’un énième échec des Nations unies à protéger une population soumise à des exactions répétées ?

 ?? AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Confrontés à une mobilisati­on civile sans précédent, les chefs militaires à l’origine du coup d’État au Myanmar ont répliqué en s’appuyant sur un large appareil répressif incluant la fermeture d’Internet, des arrestatio­ns et des emprisonne­ments, en plus d’user de violence létale contre des protestata­ires pourtant non violents. Sur la photo, une manifestat­ion contre la junte militaire, à Rangoun, capitale myanmarais­e, au mois de juillet.
AGENCE FRANCE-PRESSE Confrontés à une mobilisati­on civile sans précédent, les chefs militaires à l’origine du coup d’État au Myanmar ont répliqué en s’appuyant sur un large appareil répressif incluant la fermeture d’Internet, des arrestatio­ns et des emprisonne­ments, en plus d’user de violence létale contre des protestata­ires pourtant non violents. Sur la photo, une manifestat­ion contre la junte militaire, à Rangoun, capitale myanmarais­e, au mois de juillet.

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