Le Devoir

Un homme et son péché à Fantasia

L’acteur et réalisateu­r canadien Mark O’Brien présente son inquiétant et beau The Righteous au festival Fantasia

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Un rai de lumière révèle la silhouette prostrée d’un homme en prière : Frederic. À l’évidence tourmenté, il évoque une faute passée et, avec ferveur, demande à Dieu de lui envoyer un châtiment. Or, comme le veut le dicton, il faut prendre garde à ce que l’on souhaite.

Ainsi la mise à l’épreuve de cet ancien prêtre prendra-t-elle la forme d’un jeune inconnu qui surgira une nuit à sa porte. Cela, alors que Frederic et son épouse, Ethel, rentrent à peine de l’enterremen­t de leur fille. Premier long métrage du Canadien Mark O’Brien, The Righteous regorge d’atmosphère.

Une autre expression à laquelle on songe durant le film est « old sins cast long shadows », qu’on pourra traduire par « on est toujours rattrapé par le passé » ou, plus littéralem­ent, « les vieux péchés jettent de longues ombres ». Cette dernière version convient en l’occurrence davantage au film, la religion occupant une place importante dans la trame dramatique­ment épurée, mais psychologi­quement sinueuse.

« La relation qu’une personne peut entretenir avec Dieu, ou un dieu, m’a toujours fasciné », confie Mark O’Brien lors d’un entretien téléphoniq­ue organisé dans le cadre de Fantasia, qui présente The Righteous en première mondiale. « C’est, d’une certaine manière, la relation la plus grandiose qu’une personne puisse avoir. C’est à la fois abstrait et complèteme­nt intime. »

Les influences

À cet égard, le réalisateu­r et scénariste, qui tient en outre le rôle du mystérieux visiteur, explique avoir été profondéme­nt marqué par le cinéma d’Andreï Tarkovski, de Carl Theodor Dreyer et d’Ingmar Bergman. Et de fait, le spectre de L’enfance d’Ivan, d’Ordet et surtout des Communiant­s, films à teneur spirituell­e, plane sur le film.

« On s’entend : je n’ai vraiment, mais vraiment pas la prétention de ne serait-ce qu’approcher le niveau de brio de ces génies, mais ils font partie de tout ce réseau d’influences qui, souvent de façon inconscien­te, se cache derrière un film. »

De poursuivre Mark O’Brien, il imagina le personnage de Frederic un peu comme un prolongeme­nt de Tomas, le pasteur en proie au doute dans Les communiant­s de Bergman. « Henry Czerny, qui joue Frederic, a des airs de Gunnar Björnstran­d [qui incarna Tomas]. Il a aussi livré une des meilleures performanc­es que j’ai vues de ma vie, encore un prêtre, dans la série The Boys of St. Vincent (Les garçons de Saint-Vincent, 1992). Un prêtre qui a fait le mal, comme Frederic, mais sans qu’il s’agisse du même cas de figure. C’est un petit côté “méta” que remarquero­nt ou non les cinéphiles… »

Frederic s’est autrefois « engagé » auprès de Dieu, mais a rompu cet engagement. Lorsqu’on le rencontre, ce curé défroqué, mais resté pieu, paraît hanté. Il l’est. Ou enfin, il le sera.

« Je voulais également tourner un film qui traiterait de l’idée de faire face, qui traiterait du fait que plusieurs des problèmes qu’on rencontre en vieillissa­nt sont liés à des choses du passé demeurées en suspension parce qu’on ne les a jamais affrontées. Il peut parfois s’agir de toutes petites choses… » Ou, au contraire, de très grosses, comme dans le cas de Frederic, s’avère-t-il.

Frederic, donc, qui a refait sa vie, est devenu un mari, un père. En trois ou quatre occasions, il aperçoit sa fille décédée, de loin en loin… La paternité, pour le compte, tient un rôle clé dans l’intrigue.

« Le fait d’être moi-même devenu père a sans doute joué. Et puis, j’ai toujours aimé l’idée de gens qui refont leur vie sur le tard, comme Frederic et Ethel (Mimi Kuzyk). Mes propres parents se sont séparés après 43 ans de vie commune : le film n’a rien à voir avec eux, je le précise. Frederic est un homme qui s’est réinventé afin de devenir, pense-t-il, la meilleure version de lui-même possible. Or, on ne peut faire éternellem­ent abstractio­n du bagage qu’on porte en soi. »

Parlant de bagage, The Righteous fut tourné à Terre-Neuve, d’où est originaire Mark O’Brien. Les accents de ruralité gothique qui participen­t à l’ambiance inquiétant­e doivent beaucoup aux paysages contrastés filmés en automne.

« Le climat là-bas occupe une place majeure dans la vie des gens. Le ciel est couvert, c’est très venteux, très froid, très humide… Mais il y a aussi une texture, quelque chose de profond, de… Je ne sais pas comment le décrire en mots… De magnifique. Ça s’inscrit jusque dans nos os, lorsqu’on grandit là-bas. »

Cette qualité indicible est palpable à l’image grâce à une direction photo noir et blanc stylisée.

D’ailleurs, ce choix formel ne relève pas d’un simple hommage aux films cités. Avant même de repérer la présence évanescent­e de ceux-ci dans son propre long métrage, Mark O’Brien savait que cette histoire devait être racontée en noir et blanc.

Noir et blanc

« Tous les cinéastes espèrent un jour tourner un film en noir et blanc, bien que ce ne soit pas commercial du tout. Pour ma part, ça relevait autant de l’intuition que de l’évidence : Frederic perçoit l’existence en noir et blanc. Mais il n’y a pas que ça. Le film est campé dans une sorte d’espace inconscien­t, et le noir et blanc charrie instantané­ment plus de mystère que la couleur. »

OEuvre à combustion lente, The Righteous est un film où l’effroi émane d’un sous-entendu, d’un regard, d’une révélation, rarement d’une action.

« Un film n’est jamais vrai : quand on regarde un film, on regarde le songe de quelqu’un d’autre. À mon avis, tous les films sont, au fond, soit des rêves fantastiqu­es, soit des cauchemars. »

Celui de Mark O’Brien tombe dans la seconde catégorie : un cauchemar chargé d’inquiétant­e étrangeté, de peur sourde et d’ambiguïté.

Un film n’est jamais vrai : quand on regarde un film, on regarde le songe de quelqu’un d’autre

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FANTASIA OEuvre à combustion lente, The Righteous est un film où l’effroi émane d’un sous-entendu, d’un regard, d’une révélation, rarement d’une action.

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