Un plan mal ficelé
Après une dernière année marquée par le chaos et la confusion dans les écoles, les parents et les élèves québécois étaient en droit d’espérer un plan de match cohérent, solide et surtout rassurant en vue de la rentrée scolaire 2021. En lieu et place, ils ont eu droit à un écheveau de mesures desquelles on peine à déceler le fil conducteur et à des questions sans réponse. Ce plan n’est pas « responsable », ainsi que Québec l’a qualifié. Pour toutes les questions d’importance auxquelles il ne répond pas, pour l’absence de prévoyance et de vision qui le colore et pour tous les pans d’ombre qui auraient mérité éclairage, cette marche à suivre est plutôt brouillonne.
Le dieu des coïncidences n’a pas joué en faveur du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. En effet, au petit matin du jour J, le ministre de la Santé, Christian Dubé, évoquait le spectre inévitable d’une 4e vague de COVID-19 avec en main une statistique inquiétante : un total de 365 nouveaux cas en l’espace de 24 heures et une légère augmentation des hospitalisations — la capacité hospitalière demeurera le nerf de la guerre, comme lors des vagues précédentes. Aux prises avec la montée en puissance du variant Delta, le ministre Dubé n’avait pas le ton des bonnes nouvelles, contrairement à son collègue de l’Éducation, ravi de pouvoir proposer un « plan responsable » de retour en classe. Le contraste jurait entre les deux gammes.
Les mesures proposées pour l’école primaire et l’école secondaire restreignent le port du masque à l’autobus, aux aires communes, mais pas à la classe, où le concept de « bulles » a aussi disparu. Dans les services de garde, les plus petits seront soulagés du masque, mais aucune explication claire n’a été fournie pour en exposer les fondements. Au secondaire, les cours à option, les activités parascolaires et le programme sport-études reviennent en force — une bonne nouvelle ! —, mais la participation à certaines activités jugées « à haut risque » sera conditionnelle au passeport vaccinal, ce qui constitue le coup de théâtre de la présentation de mercredi. Il eût été souhaitable de connaître la liste des activités visées, mais aussi de savoir si on a mesuré l’effet possible de cette politique, pratiquée à l’école et non pas dans un gym ou au restaurant, avec des risques d’exclusion d’élèves plus vulnérables.
Quant aux parents qui se meurent de savoir si l’année 2021-2022 sera faite d’éclosions qui forcent le retrait de leur enfant et de sprints répétés vers le test de COVID, ils n’ont rien eu à se mettre sous la dent. Voilà sans doute l’une des rebuffades les plus spectaculaires à infliger à des familles et à des enseignants qui ont vécu la dernière année scolaire en dents de scie et qui espéraient des règles claires à défaut de normalité. Alors que la rentrée scolaire sera chose faite dans deux semaines, on ne sait donc pas quel est le protocole prévu en cas d’éclosion dans une classe, une école, ni non plus comment on départagera les vaccinés des non-vaccinés si le protocole doit être activé. Les règles sont en réécriture. Le matériel n’est pas prêt.
Il est par ailleurs très décevant que rien n’ait été prévu pour permettre un dépistage plus efficace à l’école, et ce, afin de pallier le fait que les moins de 12 ans n’ont pas encore accès à la vaccination. Cette population plus jeune ne doit pas être oubliée au prétexte qu’elle est moins à risque d’hospitalisation, ainsi que les études et les données l’ont démontré dans le passé. Le variant Delta est encore imprévisible.
Le ministre de l’Éducation a eu un petit mouvement d’humeur lorsqu’il a été question de la ventilation dans les écoles, alors qu’il a appelé à la fin des « campagnes de peur ». Ce chapitre sombre de sa dernière année scolaire le poursuivra-t-il encore longtemps ? Ainsi que Radio-Canada le dévoilait mercredi, les 90 000 outils de mesure de la qualité de l’air dans les classes seront livrés d’ici à la fin de l’année 2021, plutôt qu’à la rentrée, en raison de retards associés au processus d’appel d’offres et à la livraison des équipements. Il s’agit là d’un autre pan d’inquiétude pour les parents et les enseignants, qui restent dans le néant.
Quant à la réussite scolaire, M. Roberge dispose de données qui indiquent que ce n’est pas « l’hécatombe des échecs », avec un taux de réussite semblable en 2019 et en 2020. Mais comme il le reconnaît lui-même, cette comparaison est bancale. Que valent ces taux en fait ? Ce sont les enseignants qui verront cette année comment, au-delà des notes qu’ils ont reçues en année pandémique, les élèves ont reçu leurs diplômes en dépit de grandes lacunes ou faiblesses dans leur parcours scolaire. Le « filet scolaire » de 13 millions de dollars destiné à embaucher des agents de liaison dont l’unique tâche sera d’entrer en contact avec des élèves qui ont décroché en cours de pandémie prouve indéniablement qu’il s’agit là d’un sujet de préoccupation. Cette prochaine année sera cruciale pour le rattrapage.
Les ministères n’ont ni l’excuse de l’inexpérience ni non plus le paravent de l’inconnu pour abrier leurs maladresses. Voilà que l’Éducation doit se ressaisir et adopter le mode de la clarté, de la cohérence et de la transparence.