Le Devoir

L’apocalypse n’est pas la fin du monde

En tournant le dos aux discours de croissance et de développem­ent, nous commencero­ns la première étape d’une nouvelle ère

- Krystof Beaucaire Étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQAM

Le nouveau rapport du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) en réjouira peu par ses nouvelles conclusion­s. La températur­e globale grimpe non seulement plus rapidement que nous l’avions initialeme­nt cru, mais en plus, voilà que les conséquenc­es catastroph­iques qui s’observent présenteme­nt s’anticipaie­nt précédemme­nt pour des hausses de plus de 4 °C.

Les températur­es de non-retour arrivent plus rapidement qu’on le croyait, mais leurs conséquenc­es sont déjà là. La suite s’annonce donc encore pire.

Devant cela, plus que l’illusion de contrôle, ce sont nos beaux discours qui viennent encore une fois de se fracasser contre le mur imperturba­ble de la science.

Qu’ont encore à nous offrir les fabulation­s des politicien­s éperdus de croissance nous assurant qu’un troisième lien ou un pipeline seront des vecteurs de succès dans notre lutte contre les changement­s climatique­s ? Nous rabattrons-nous encore sur la croissance et l’innovation technologi­que, ces divinités que nous avons fétichisée­s au point de tout sacrifier à leur autel ? Qu’espérons-nous voir sortir de cette fosse septique à espoir qu’est l’économie capitalist­e ?

L’ère industriel­le nous aura donné pollution, destructio­n, inégalités, souffrance, mort… Croyons-nous vraiment que cette tendance est vouée à changer ? Planifier notre futur en fonction de telles rêveries relève tout simplement de l’irresponsa­bilité. Nous misons sur un quitte ou double sans savoir s’il existe même un prix à gagner ! D’ailleurs, quelle découverte prométhéen­ne souhaiter sincèremen­t à un peuple dont les dernières grandes trouvaille­s l’ont d’abord aidé à brûler obstinémen­t tout ce qui se trouvait sur son passage ?

Évidemment, notre époque nous aura également procuré longue vie, confort, prospérité, ce qu’on ne peut éviter de saluer. Or, ces concepts prendront des airs de malédictio­n pour ceux et celles qui, comme moi, poursuivro­nt possibleme­nt leur route plus longtemps que nos décideurs actuels.

Les longues vies de demain seront certaineme­nt témoins d’événements spectacula­ires, mais je ne suis pas encore assez cynique pour prétendre m’en réjouir à la manière de ceux qui s’exaltaient devant les promesses du XXe siècle. Les promesses de résilience sont un cadeau empoisonné de la même espèce. Nous n’aurons pas tous accès aux fruits du progrès dont l’Occident jouit encore. Les coûts réels du maintien de nos niveaux de vie auront un terrible goût de cendre.

Déclarer l’apocalypse

L’apocalypse n’est pas la fin du monde, c’est plutôt la fin d’un monde. Le terme vient du grec ancien et signifie « dévoilemen­t », terme qui prend énormément de sens avec le nouveau rapport du GIEC. Nous voilà exposés aux terribles conséquenc­es d’un enivrement à la croissance. Se présentent devant nous les contradict­ions fondamenta­les de notre poursuite de bonheur surconsomm­é. L’économie de croissance, par définition, doit toujours consommer plus : plus de matière, plus d’énergie, plus de labeur humain. Or, pour cette matière, nous devons toujours creuser plus creux ; pour cette énergie, nous dépendons toujours du potentiel le plus explosif ; pour ce labeur, nous exploitero­ns nos pairs avec toujours moins de sollicitud­e.

Nous avons besoin de ce dévoilemen­t, de cette confrontat­ion aux logiques internes du système économique. C’est pourquoi nous nous devons de déclarer l’apocalypse. Nous ne pouvons tolérer plus longtemps la normalisat­ion des catastroph­es qui ponctuent nos vies, nous poussant à la résignatio­n. Notre système économique est incapable de s’attaquer aux problèmes climatique­s, car il en est responsabl­e. Nous avons besoin d’une nouvelle manière de faire.

Car la même rengaine revient toujours. Combien de fois redoublero­nsnous d’efforts et de sérieux, poussant encore plus loin un système au maximum de sa capacité ? Devant la constatati­on que nous ne sommes rien sans les exploits du capitalism­e, renonçons. Renonçons à notre humanité, car nous ne pouvons renoncer à la jouissance.

Nous continuero­ns de massacrer la Terre au point de perdre jusqu’au sens de sa beauté. Nous continuero­ns d’exploiter nos pairs au point de perdre ce qui nous restait de solidarité. Nous jouirons coûte que coûte et nous habiterons l’apocalypse.

Comme si nous n’avions pas le choix de vivre dans ce système économique. Comme s’il était le seul en mesure de nous fournir de quoi vivre, de quoi nous réaliser ou le droit de rêver. Habiter l’apocalypse est une idée profondéme­nt infâme, mais il y a du bien dans l’horreur de cette confrontat­ion. Affronter l’apocalypse, c’est retirer les masques, briser les faux-semblants, regarder la réalité en face. C’est ce que le GIEC nous expose : le développem­ent économique ne peut plus durer. Les discours capitalist­es de nos dirigeants sont autant d’artefacts apocalypti­ques qui rejoignent les rangs des GES, des microplast­iques, des écosystème­s perdus à jamais…

L’apocalypse nous révèle le monde qui doit finir, mais aussi la possibilit­é d’autre chose. Ne négligeons pas l’espoir différent que nous offre le rapport. Un autre monde est possible. On me reprochera peut-être de ne pas proposer de solutions concrètes, mais la réalité est que la déclaratio­n de l’apocalypse doit d’abord générer le désir d’autre chose. Tournant notre dos aux discours de croissance et de développem­ent, nous commencero­ns la première étape d’une nouvelle ère.

Nous n’avons plus le temps d’hésiter.

Les températur­es de non-retour arrivent plus rapidement qu’on le croyait, mais leurs conséquenc­es sont déjà là. La suite s’annonce donc encore pire.

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