Le Devoir

La reforestat­ion du parc Jarry, une question majeure de santé publique

Depuis plus de dix ans, l’Office de consultati­on publique de Montréal souligne le trop grand déséquilib­re entre les zones de sport et de nature, ce qui menace la survie même de cet espace

- ENVIRONNEM­ENT Wassyla Hadjabi Montréal

Lettre adressée à la mairesse de Montréal, Valérie Plante

Depuis plus de deux ans, le Regroupeme­nt citoyen pour la protection du parc Jarry multiplie les démarches auprès de votre administra­tion pour faire valoir ses préoccupat­ions quant au déficit de nature au parc Jarry.

Le parc Jarry, le plus petit des grands parcs de Montréal, est situé dans un des deux arrondisse­ments prioritair­es en cas d’épisode caniculair­e en ce qui a trait à l’indice de défavorisa­tion : l’arrondisse­ment de Villeray–Saint-Michel– Parc-Extension.

Né d’une préoccupat­ion des élus de procurer du bon air aux population­s riveraines en pleine épidémie de tuberculos­e, dans les années 1920, ce parc joue un rôle essentiel de parc de proximité. Un siècle plus tard, 7 personnes sur 10 n’ont toujours pas accès à une cour et la forêt du parc Jarry originel a rétréci comme peau de chagrin. En effet, depuis plus de dix ans, l’Office de consultati­on publique de Montréal souligne le trop grand déséquilib­re entre les zones de sport et les zones de nature, ce qui menace la survie même du parc.

Révision du Plan directeur

Le 9 avril dernier, en visitant le parc Jarry avec monsieur Robert Beaudry, membre du comité exécutif et responsabl­e des grands parcs pour la Ville de Montréal, nous avons dénoncé encore une fois ce déséquilib­re, encore plus flagrant du côté ouest, soit celui de la voie ferrée et de Parc-Extension, que du côté est, soit celui de Villeray.

Nous avons donc réclamé une révision urgente du Plan directeur qui date de 2005, ainsi qu’une consultati­on publique semblable à celle entreprise pour le parc Lafontaine. En effet, le Plan directeur du parc Lafontaine, salué par le public, les instances et comités d’experts, devait « servir de modèle pour l’élaboratio­n des plans directeurs du Réseau des grands parcs de la Ville de Montréal ». Quelle déception — et le mot est faible — quand nous avons appris que nous n’aurions droit qu’à un « aménagemen­t », assorti d’un microsonda­ge plutôt qu’à une réelle consultati­on : quelques mesures superficie­lles, 800 arbres sur 15 ans (quand 3000, au moins, seraient nécessaire­s dès maintenant)… Bref, du « verdissage » et de l’instrument­alisation.

Indignatio­n

De plus, quelle ne fut pas notre indignatio­n en constatant que le terrain occupé par Tennis Canada, et même la « place publique » (exclue du droit d’occupation superficia­ire depuis 2005) n’y figuraient pas. Comment alors prétendre parler d’« harmonisat­ion des pratiques écologique­s, récréative­s et sportives (sic !) », quand près d’un quart du parc Jarry est absent de l’équation ?

Comment justifier cette omission quand la zone concernée a le plus d’effets en termes d’îlots de chaleur, surtout pour la population la plus vulnérable, celle de Parc-Extension ? Pire encore, votre administra­tion vient de signer de nouveau l’entente avec Tennis Canada, toujours derrière des portes closes, et sans tenir aucun compte des motifs d’irritation que nous ne cessons de dénoncer : clôtures injustifié­es, servitude de passage non respectée, privatisat­ion d’espace public…

Pour ajouter l’insulte à l’injure, votre administra­tion n’a même pas su faire valoir que ce droit particulie­r d’occupation par Tennis Canada implique, aujourd’hui, une responsabi­lité quant au réchauffem­ent climatique et à la justice environnem­entale. Il s’agit pourtant d’une priorité pour Projet Montréal.

Qu’après tous nos efforts et toute notre bonne volonté nous en soyons encore là est insultant.

Madame Plante, on ne peut plus, aujourd’hui, impunément, se réfugier derrière une image écorespons­able en se contentant de « compenser » des agressions manifestes aux milieux naturels, par des effets d’annonce et de la microgesti­on. C’est abusif.

Sachez que les population­s de ParcExtens­ion et de Villeray, voyant ainsi leur bien public, leurs besoins et leur avenir sacrifiés pour satisfaire aux exigences de lobbyistes et de compagnies privées, sous le regard accommodan­t de votre administra­tion, sont aujourd’hui très perplexes.

En pleine pandémie — probableme­nt la première d’une longue série — nous avons pourtant pris conscience, si cela était encore nécessaire, de l’aspect vital des parcs de proximité. Bientôt, nous connaîtron­s nous aussi des canicules comme celle qui accable cet été la Colombie-Britanniqu­e. Et contre ces fléaux nous ne trouverons pas de vaccin…

Les conséquenc­es du réchauffem­ent climatique seront encore plus dramatique­s pour les population­s défavorisé­es dont la survie dépend de l’indice de canopée. Parc-Extension est un immense îlot de chaleur et seul un reboisemen­t massif du parc Jarry nous permettrai­t d’éviter le pire. Aussi, quand, dans son plan climat 2020-2030, Projet Montréal promet 500 000 arbres pour Montréal, mais seulement 800 pour le parc Jarry, implanté à Parc-Extension, connu pour sa forte proportion de population racisée, c’est un exemple qualifié de racisme environnem­ental.

La reforestat­ion du parc Jarry est plus qu’un enjeu majeur de santé publique. C’est une volonté politique de justice sociale et climatique.

Quelque chose doit bouger, quelque chose doit changer. Maintenant. Et si ce n’est votre administra­tion qui a le courage politique d’impulser un vrai changement, qui l’aura ? Madame Plante, vous qui êtes « l’homme de la situation », il est grand temps de passer à l’action. Le parc Jarry pourrait être emblématiq­ue de votre politique contre le réchauffem­ent climatique et devenir ainsi un modèle à l’internatio­nal (bien plus qu’une Coupe Rogers, dont le public est à 80 % québécois).

Aidez-nous donc à faire du parc Jarry un grand parc de proximité, exemplaire, véritablem­ent dédié, en priorité, à la population locale, et réellement prêt à faire face aux défis du réchauffem­ent climatique.

VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR

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En pleine pandémie, nous avons pris conscience, si cela était encore nécessaire, de l’aspect vital des parcs de proximité.

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