Un projet de 60 forages jugé sans répercussions majeures
Equinor veut extraire 300 millions de barils de pétrole en mer au large de Terre-Neuve
L’Agence d’évaluation d’impact du Canada conclut qu’un projet de forage de 60 puits pétroliers au large des côtes de Terre-Neuve « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ». Ce projet sera pourtant mené dans un secteur reconnu pour la richesse et la fragilité de sa biodiversité, qui comprend plusieurs espèces de mammifères marins.
L’AEIC vient de publier la version provisoire de son rapport d’évaluation environnementale du projet pétrolier et gazier de l’entreprise Equinor, qui a été évalué en vertu de la législation mise en place par les conservateurs de Stephen Harper.
Le projet Bay du Nord, qui prévoit le forage d’un maximum de 60 puits pour extraire du sous-sol marin plus de 300 millions de barils de pétrole sur une période de 30 ans, serait mené dans le secteur de la passe Flamande, dans les eaux situées à l’est de TerreNeuve-et-Labrador. La zone du projet a une superficie d’environ 4900 km2, où les profondeurs d’eau varient de 340 m à 1200 m. Il comprend une « zone de mise en valeur centrale » d’une superficie d’environ 470 km2, où les profondeurs d’eau vont de 1000 à 1200 m.
« Compte tenu de la mise en oeuvre des mesures d’atténuation » prévues par la pétrolière, l’AEIC « conclut que le projet d’exploitation de Bay du Nord n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants », peut-on lire dans le rapport provisoire de 269 pages, publié afin de permettre aux citoyens de formuler des « commentaires » à l’agence fédérale.
Dans son rapport, l’AEIC souligne que la zone où seront menés les forages compte une riche biodiversité. La pétrolière Equinor a notamment recensé 23 zones « spéciales » (désignées comme tel « en raison de leur écosensibilité »), dont 7 ont une intersection directe avec la zone du projet. L’une de ces zones est d’ailleurs désignée comme « zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique ». Les 16 autres zones spéciales sont situées à l’extérieur de la zone du projet et elles « croisent principalement les zones d’influence prévues pour les émissions sonores sous-marines ».
Le promoteur a également déclaré, dans son étude d’impact, que « quinze espèces de mammifères marins ont été signalées dans la zone du projet », dont huit espèces de baleines, quatre de dauphins, une de marsouin et deux de phoques. Une neuvième espèce de baleine, les baleines à bec de Cuvier, a été détectée dans le cadre d’une étude de surveillance acoustique dans la zone du projet.
Or, selon l’AEIC, il est possible que les forages pétroliers prévus au cours des prochaines décennies aient des répercussions sur les mammifères marins, qui sont particulièrement sensibles à la pollution sonore sous-marine. Qui plus est, « le promoteur a déclaré que la passe Flamande est jugée comme un habitat important tout au long de l’année pour les dauphins, les cachalots et les baleines à bec communes », souligne le rapport.
Coup de pouce du fédéral
Le projet d’Equinor n’est pas le seul qui soit en développement au large de Terre-Neuve. Au début de 2021, le gouvernement Trudeau a autorisé 40 forages exploratoires dans une région maritime reconnue par l’ONU pour son importance écologique et biologique. Ces projets ont tous été évalués en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale adoptée par le gouvernement de Stephen Harper en 2012.
Equinor pourra ainsi forer dans une zone associée au très important secteur de pêche des Grands Bancs de TerreNeuve. L’entreprise Chevron détient pour sa part les droits d’exploration dans une zone de « grande biodiversité » qui compte « de nombreuses espèces en péril ». BHP Canada pourra également forer dans une zone qui constitue l’habitat de plusieurs espèces d’oiseaux marins, de poissons, de cétacés et de coraux, dont certaines sont protégées par la Loi sur les espèces en péril.
Cette décision d’Ottawa s’inscrit dans la volonté de Terre-Neuve de doubler sa production pétrolière après 2030 afin d’atteindre 235 millions de barils par année. Cet objectif passe par la réalisation d’au moins 100 nouveaux forages d’ici la fin de la décennie.
Au plus fort de la crise de la COVID-19 au printemps 2020, le gouvernement fédéral a également décrété l’abolition du processus d’évaluation environnementale jusqu’ici en vigueur pour tous les forages exploratoires menés sur un territoire de 735 000 km2 à l’est de Terre-Neuve. Le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, a alors dit vouloir « maintenir la compétitivité » de l’industrie, jugeant que celle-ci constitue « un élément important de notre avenir fondé sur la croissance propre ».
L’automne dernier, le gouvernement Trudeau a en outre offert 320 millions de dollars pour soutenir les travailleurs de l’industrie pétrolière en milieu marin. Il a alors confié le soin de formuler des « recommandations » sur les façons d’investir ces fonds publics à un comité contrôlé par des proches de l’industrie pétrolière. C’est ainsi que la pétrolière Husky, qui comptait un membre dans le comité, a reçu 41 millions de dollars en décembre afin de maintenir des emplois liés à un projet de développement au large de Terre-Neuve. Cette même entreprise est à l’origine du plus important déversement de pétrole de la province, survenu en 2018.