Dans la campagne polonaise, la grande séduction nationale-conservatrice
Plongée dans Stawiski, l’un des fiefs électoraux du parti Droit et justice (PiS)
Ils sont nombreux, en région rurale polonaise, à soutenir la politique nationale-conservatrice du parti de Jarosław Kaczyński. Et ce, malgré les dérives antidémocratiques du pouvoir décriées par Bruxelles depuis 2015. Comment expliquer un tel attrait ? Plongée dans l’un des fiefs électoraux du parti Droit et justice (PiS).
«Et voici le parc : il y a deux ans à peine, son état était lamentable, rien n’avait été rénové depuis l’époque communiste. Maintenant, je vais vous montrer le centre d’aide sociale, tout aussi flambant neuf ! » Grażyna Kamionowska ne pourrait être davantage enthousiaste. Car c’est un vent de renouveau qui souffle sur Stawiski, son village situé en Podlachie, tout à l’est de la Pologne. En témoigne ce fameux square coquet, inauguré à deux pas d’une église baroque, qui fait aujourd’hui la joie des 6000 habitants du quartier. « Le dimanche, désormais, de petits producteurs du coin viennent y tenir marché, des spectacles de danse folklorique y sont organisés. Nombreux sont ceux qui s’engagent au sein de la communauté locale », s’emballe la quadragénaire, qui dirige le centre culturel municipal.
Dans une région qui se vide de sa jeunesse au profit des centres urbains, Stawiski nage même à contre-courant. Car, comme le constate Grażyna, une fois leur scolarité achevée, de plus en plus de jeunes rentrent au bercail, cette fois pour s’y enraciner pour de bon. « Même ma fille n’exclut pas de revenir ici et de s’acheter une maison ! »
Mais il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. Elle n’est pas si lointaine, cette époque où Stawiski semblait condamné à l’inertie, celle où l’ondéplorait « de nombreux trous sur la chaussée », l’absence d’un centre sportif, le manque criant de services ou encore la desserte laissant à désirer. Régnait, en somme, le sentiment d’avoir été abandonné par les décideurs à Varsovie. Pire, après la transition démocratique, en 1989, les usines ont fermé une à une, et la commune, avec ses bien maigres recettes, n’a pu qu’assister à son propre déclin.
« Avant, personne ne voulait investir ici, Stawiski était pauvre, peu attractif », résume Zbigniew Razarenkow, 78 ans, assis sur un banc de la grand-place, en cet après-midi de juin. Coiffé d’un béret, le retraité a maintenant de quoi se réjouir : du renouvellement de la flotte de camions de pompiers à la mise en place d’un club pour aînés, jusqu’au financement d’activités pour enfants, voilà que sa bourgade se transforme à vitesse grand V. Une « renaissance » qu’il attribue volontiers au parti Droit et justice (PiS). Depuis son accession au pouvoir, en 2015, la formation de Jarosław Kaczyński a instauré un généreux système de transferts sociaux, dont la popularité ne se dément pas dans des endroits comme Stawiski, où le va-et-vient de tracteurs rappelle la vocation agricole du village. Ici, à l’instar de la très rurale Podlachie, le PiS est en terrain connu : Andrzej Duda y a été plébiscité à 84 %, lors du deuxième tour de l’élection présidentielle, en juillet 2020.
État-providence renforcé
D’ailleurs, Zbigniew en profite, de cette « redistribution de la dignité », lui qui bénéficie de 13e et 14e mois de pension de retraite supplémentaires, gracieuseté du PiS. « Si la Plateforme civique [parti centriste ayant gouverné de 2007 à 2015] revient au pouvoir, ils vont tout défaire ce qui a été accompli »,lâche-t-il, reprenant cet argument brandi comme un épouvantail par le parti au pouvoir.
Abaissement de l’âge de la retraite, prestations familiales, baisses d’impôts, investissements massifs dans les campagnes : c’est pour « relever une Pologne ayant été mise à genoux » par les gouvernements libéraux précédents que la formation nationale-conservatrice mise sur le social. Cette rhétorique, que d’aucuns qualifient de populiste, est d’ailleurs bien rodée au sein des rangs du pouvoir. Il y aurait ainsi une « Pologne B » déclassée, celle des régions rurales, encore bouleversées par le passage à l’économie de marché, et une « Pologne A », représentante des grandes villes.
Réalité ou exagération ? En tout cas, aux yeux de la mairesse de Stawiski, Agnieszka Rutkowska, « on sent sur le terrain qu’une attention est enfin portée aux petites communes comme la nôtre ». Enchaînant avec succès les appels d’offres, l’édile de 41 ans — soutenue par le PiS — ne chôme pas depuis le début de son mandat entamé en 2018. « Bien sûr, on n’exclurait aucune coopération avec un autre gouvernement, mais il est vrai que [sous le PiS], nous vivons notre meilleure époque », reconnaît-elle dans son bureau orné d’une croix catholique.
Mais quid des atteintes à l’État de droit qui, depuis six ans, menacent l’indépendance des médias et de la justice en Pologne ? Et de la récente quasiinterdiction du droit à l’avortement, sans parler du discours diabolisant la communauté LGBTQ+ qui a cours jusqu’au sommet de l’État ? « Avoir la possibilité de prendre des vacances, la rénovation des trottoirs, les enjeux locaux : ça, c’est ce qui préoccupe les gens d’ici, contrairement aux priorités des Varsoviens », riposte aussitôt Mme Rutkowska . « On ne voit plus d’enfants porter des pantalons troués, les manuels scolaires sont gratuits, et les parents ont les moyens d’envoyer leur enfant en sortie scolaire ! »
Associées à un ultraconservatisme, ces mesures socio-économiques font toute la force de séduction du PiS. « Après 2004 [année où la Pologne a intégré l’Union européenne], il existait ce fort sentiment d’avoir été laissé pour compte au profit des agglomérations », analyse Michał Sutowski, politologue et rédacteur pour la revue Krytyka Polityczna. « Dans les villages et petites villes, on a voulu donner une chance au PiS en 2015, dans l’espoir qu’il tienne ses promesses antiestablishment. »
Reste que ce renforcement de l’Étatprovidence, dopé en partie de fonds européens, recèle des angles morts. « L’élément de taille que le PiS a négligé — et selon moi, délibérément — , ce sont les services publics, notamment la santé », poursuit Michał Sutowski. « Ils ont donné de l’argent directement dans les poches des gens — ce qui est payant sur le plan électoral —, favorisant ainsi le privé. Or, les professeurs, médecins, infirmières ou travailleurs sociaux du secteur public ont vu leur salaire gelé ces six dernières années, en plus d’avoir été dépeints par le gouvernement comme des fainéants. »
Fin d’un marasme
Retour à Stawiski, où Maciej (nous utilisons un prénom fictif à sa demande), en sandales, veille sur ses vaches broutant dans l’enclos familial. « Pendant des années, au pays comme à l’étranger, on riait de nous en Podlachie », affirme le bon vivant de 43 ans. Le millier de litres de lait qu’il génère chaque jour a beau être soutenu par des subventions agricoles de l’Union européenne, c’est avant tout le PiS qu’il crédite du développement de Stawiski. Avec ses trois enfants, l’éleveur a même droit au programme « 500+ », une allocation permettant aux familles polonaises de percevoir 500 zlotys (162 $CA) par enfant par mois. Et ce, sans conditions de revenus préalables.
Une mesure phare du PiS que Magdalena (nous utilisons un prénom fictif à sa demande), dans la trentaine, encense en tant que jeune mère célibataire. « Avec le “500+”, je peux même acheter des vélos à mes deux enfants, même si cela nécessite d’économiser quelques mois », explique l’employée du centre social de Stawiski, qui renouvellera sa confiance au PiS lors du prochain scrutin prévu dans deux ans. « Avant 2015, je ne votais pas forcément pour eux. Mais s’ils continuent de me verser de l’argent, alors pourquoi pas ? »
Katarzyna Dzikowska, la bibliothécaire de Stawiski, n’en fera pas moins dans l’isoloir, le moment venu, une manière quant à elle d’éviter de replonger dans ce « marasme d’avant, où l’on faisait ce qu’on pouvait avec les moyens du bord ». Une manière, aussi, de récompenser les progrès de son village, à commencer par l’un de ses symboles : le square principal. « Il ne dispose pas de fontaine, mais à notre échelle, c’est déjà très bien comme ça. »