Le Devoir

Dans la campagne polonaise, la grande séduction nationale-conservatr­ice

Plongée dans Stawiski, l’un des fiefs électoraux du parti Droit et justice (PiS)

- PATRICE SÉNÉCAL COLLABORAT­EUR À STAWISKI

Ils sont nombreux, en région rurale polonaise, à soutenir la politique nationale-conservatr­ice du parti de Jarosław Kaczyński. Et ce, malgré les dérives antidémocr­atiques du pouvoir décriées par Bruxelles depuis 2015. Comment expliquer un tel attrait ? Plongée dans l’un des fiefs électoraux du parti Droit et justice (PiS).

«Et voici le parc : il y a deux ans à peine, son état était lamentable, rien n’avait été rénové depuis l’époque communiste. Maintenant, je vais vous montrer le centre d’aide sociale, tout aussi flambant neuf ! » Grażyna Kamionowsk­a ne pourrait être davantage enthousias­te. Car c’est un vent de renouveau qui souffle sur Stawiski, son village situé en Podlachie, tout à l’est de la Pologne. En témoigne ce fameux square coquet, inauguré à deux pas d’une église baroque, qui fait aujourd’hui la joie des 6000 habitants du quartier. « Le dimanche, désormais, de petits producteur­s du coin viennent y tenir marché, des spectacles de danse folkloriqu­e y sont organisés. Nombreux sont ceux qui s’engagent au sein de la communauté locale », s’emballe la quadragéna­ire, qui dirige le centre culturel municipal.

Dans une région qui se vide de sa jeunesse au profit des centres urbains, Stawiski nage même à contre-courant. Car, comme le constate Grażyna, une fois leur scolarité achevée, de plus en plus de jeunes rentrent au bercail, cette fois pour s’y enraciner pour de bon. « Même ma fille n’exclut pas de revenir ici et de s’acheter une maison ! »

Mais il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. Elle n’est pas si lointaine, cette époque où Stawiski semblait condamné à l’inertie, celle où l’ondéplorai­t « de nombreux trous sur la chaussée », l’absence d’un centre sportif, le manque criant de services ou encore la desserte laissant à désirer. Régnait, en somme, le sentiment d’avoir été abandonné par les décideurs à Varsovie. Pire, après la transition démocratiq­ue, en 1989, les usines ont fermé une à une, et la commune, avec ses bien maigres recettes, n’a pu qu’assister à son propre déclin.

« Avant, personne ne voulait investir ici, Stawiski était pauvre, peu attractif », résume Zbigniew Razarenkow, 78 ans, assis sur un banc de la grand-place, en cet après-midi de juin. Coiffé d’un béret, le retraité a maintenant de quoi se réjouir : du renouvelle­ment de la flotte de camions de pompiers à la mise en place d’un club pour aînés, jusqu’au financemen­t d’activités pour enfants, voilà que sa bourgade se transforme à vitesse grand V. Une « renaissanc­e » qu’il attribue volontiers au parti Droit et justice (PiS). Depuis son accession au pouvoir, en 2015, la formation de Jarosław Kaczyński a instauré un généreux système de transferts sociaux, dont la popularité ne se dément pas dans des endroits comme Stawiski, où le va-et-vient de tracteurs rappelle la vocation agricole du village. Ici, à l’instar de la très rurale Podlachie, le PiS est en terrain connu : Andrzej Duda y a été plébiscité à 84 %, lors du deuxième tour de l’élection présidenti­elle, en juillet 2020.

État-providence renforcé

D’ailleurs, Zbigniew en profite, de cette « redistribu­tion de la dignité », lui qui bénéficie de 13e et 14e mois de pension de retraite supplément­aires, gracieuset­é du PiS. « Si la Plateforme civique [parti centriste ayant gouverné de 2007 à 2015] revient au pouvoir, ils vont tout défaire ce qui a été accompli »,lâche-t-il, reprenant cet argument brandi comme un épouvantai­l par le parti au pouvoir.

Abaissemen­t de l’âge de la retraite, prestation­s familiales, baisses d’impôts, investisse­ments massifs dans les campagnes : c’est pour « relever une Pologne ayant été mise à genoux » par les gouverneme­nts libéraux précédents que la formation nationale-conservatr­ice mise sur le social. Cette rhétorique, que d’aucuns qualifient de populiste, est d’ailleurs bien rodée au sein des rangs du pouvoir. Il y aurait ainsi une « Pologne B » déclassée, celle des régions rurales, encore bouleversé­es par le passage à l’économie de marché, et une « Pologne A », représenta­nte des grandes villes.

Réalité ou exagératio­n ? En tout cas, aux yeux de la mairesse de Stawiski, Agnieszka Rutkowska, « on sent sur le terrain qu’une attention est enfin portée aux petites communes comme la nôtre ». Enchaînant avec succès les appels d’offres, l’édile de 41 ans — soutenue par le PiS — ne chôme pas depuis le début de son mandat entamé en 2018. « Bien sûr, on n’exclurait aucune coopératio­n avec un autre gouverneme­nt, mais il est vrai que [sous le PiS], nous vivons notre meilleure époque », reconnaît-elle dans son bureau orné d’une croix catholique.

Mais quid des atteintes à l’État de droit qui, depuis six ans, menacent l’indépendan­ce des médias et de la justice en Pologne ? Et de la récente quasiinter­diction du droit à l’avortement, sans parler du discours diabolisan­t la communauté LGBTQ+ qui a cours jusqu’au sommet de l’État ? « Avoir la possibilit­é de prendre des vacances, la rénovation des trottoirs, les enjeux locaux : ça, c’est ce qui préoccupe les gens d’ici, contrairem­ent aux priorités des Varsoviens », riposte aussitôt Mme Rutkowska . « On ne voit plus d’enfants porter des pantalons troués, les manuels scolaires sont gratuits, et les parents ont les moyens d’envoyer leur enfant en sortie scolaire ! »

Associées à un ultraconse­rvatisme, ces mesures socio-économique­s font toute la force de séduction du PiS. « Après 2004 [année où la Pologne a intégré l’Union européenne], il existait ce fort sentiment d’avoir été laissé pour compte au profit des agglomérat­ions », analyse Michał Sutowski, politologu­e et rédacteur pour la revue Krytyka Polityczna. « Dans les villages et petites villes, on a voulu donner une chance au PiS en 2015, dans l’espoir qu’il tienne ses promesses antiestabl­ishment. »

Reste que ce renforceme­nt de l’Étatprovid­ence, dopé en partie de fonds européens, recèle des angles morts. « L’élément de taille que le PiS a négligé — et selon moi, délibéréme­nt — , ce sont les services publics, notamment la santé », poursuit Michał Sutowski. « Ils ont donné de l’argent directemen­t dans les poches des gens — ce qui est payant sur le plan électoral —, favorisant ainsi le privé. Or, les professeur­s, médecins, infirmière­s ou travailleu­rs sociaux du secteur public ont vu leur salaire gelé ces six dernières années, en plus d’avoir été dépeints par le gouverneme­nt comme des fainéants. »

Fin d’un marasme

Retour à Stawiski, où Maciej (nous utilisons un prénom fictif à sa demande), en sandales, veille sur ses vaches broutant dans l’enclos familial. « Pendant des années, au pays comme à l’étranger, on riait de nous en Podlachie », affirme le bon vivant de 43 ans. Le millier de litres de lait qu’il génère chaque jour a beau être soutenu par des subvention­s agricoles de l’Union européenne, c’est avant tout le PiS qu’il crédite du développem­ent de Stawiski. Avec ses trois enfants, l’éleveur a même droit au programme « 500+ », une allocation permettant aux familles polonaises de percevoir 500 zlotys (162 $CA) par enfant par mois. Et ce, sans conditions de revenus préalables.

Une mesure phare du PiS que Magdalena (nous utilisons un prénom fictif à sa demande), dans la trentaine, encense en tant que jeune mère célibatair­e. « Avec le “500+”, je peux même acheter des vélos à mes deux enfants, même si cela nécessite d’économiser quelques mois », explique l’employée du centre social de Stawiski, qui renouvelle­ra sa confiance au PiS lors du prochain scrutin prévu dans deux ans. « Avant 2015, je ne votais pas forcément pour eux. Mais s’ils continuent de me verser de l’argent, alors pourquoi pas ? »

Katarzyna Dzikowska, la bibliothéc­aire de Stawiski, n’en fera pas moins dans l’isoloir, le moment venu, une manière quant à elle d’éviter de replonger dans ce « marasme d’avant, où l’on faisait ce qu’on pouvait avec les moyens du bord ». Une manière, aussi, de récompense­r les progrès de son village, à commencer par l’un de ses symboles : le square principal. « Il ne dispose pas de fontaine, mais à notre échelle, c’est déjà très bien comme ça. »

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PATRICE SÉNÉCAL Un vent de renouveau souffle sur Stawiski, village situé en Podlachie, tout à l’est de la Pologne. En témoigne ce fameux square coquet, inauguré à deux pas d’une église baroque, qui fait aujourd’hui la joie des 6000 habitants du quartier.

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