Le Devoir

Punir Justin, la chronique de Jean-François Lisée

-

La principale tâche des électeurs québécois et canadiens, le jour prochain des élections fédérales, sera à mon humble avis de donner une leçon à Justin Trudeau et au Parti libéral du Canada. Une leçon de démocratie. Une leçon d’humilité. Ils méritent cette correction pour plusieurs raisons. D’abord pour avoir déclenché des élections absolument inutiles. Le gouverneme­nt canadien fonctionne. Grâce à l’appui de deux partis d’opposition sur le flanc gauche, le Bloc et le NPD, toutes les lois libérales sont adoptées ou le seront cet automne, quelles que soient les tactiques parlementa­ires conservatr­ices. Le budget a été adopté, moyennant des modificati­ons raisonnabl­es réclamées par les bloquistes et les néodémocra­tes. Le gouverneme­nt minoritair­e de Trudeau n’a aucune chance — aucune — d’être renversé.

L’objectif de cette élection n’est pas de mieux représente­r les électeurs ou de clarifier l’état de l’opinion publique sur un sujet clivant, ni même d’obtenir un mandat pour réaliser une tâche nouvelle. Le plan de match libéral est connu et il se réalisera, élections ou pas. L’objectif est de flatter l’ego et la soif de pouvoir des ministres libéraux. Le cynisme de la manoeuvre, se déployant maintenant à l’aube de la quatrième vague de la COVID-19, crève les yeux.

Démocratiq­uement malsain

Mathématiq­uement, l’équipe Trudeau souhaite gouverner le pays en obtenant une proportion manifestem­ent minoritair­e des voix, mais suffisante pour remporter une majorité des sièges. Cela permettrai­t à l’actuel premier ministre de ne plus prendre au sérieux les propositio­ns du Bloc et du NPD. Il pourrait se passer de leur appui, et donc de leur avis.

La démocratie parlementa­ire n’offre jamais un reflet exact de la volonté populaire. Mais pour l’instant, les libéraux (élus en 2019 avec 33 % des voix, et donc minoritair­es) sont obligés de négocier de bonne foi avec le NPD (16 % des voix) et le Bloc (8 %). Par le biais de leurs députés, 57 % des électeurs du pays ont donc un poids réel dans les décisions gouverneme­ntales. Une situation démocratiq­uement saine.

Justin Trudeau espère revenir au résultat de 2015, alors qu’il pouvait gouverner seul avec 39 % des voix. Il souhaite donc présider à une régression de la représenta­tivité de son gouverneme­nt. Un objectif démocratiq­uement malsain.

D’autant plus qu’il avait remporté son élection de 2015 en promettant de réformer le système électoral pour que plus jamais un parti ne puisse gouverner en usant de ces vils calculs. Dans une des volte-face les plus odieuses de notre vie politique moderne, Trudeau a renié cette promesse. Il entreprend maintenant une quête désinhibée d’un résultat incarnant parfaiteme­nt la dysfonctio­n électorale qu’il fut naguère élu pour réparer. Pour cela, il mérite d’être mis en pénitence. Mais pas seulement pour cela.

L’enjeu climatique

Qui aurait pu penser qu’un jour, un gouverneme­nt libéral comptant l’écologiste Stephen Guilbeault en son sein financerai­t davantage l’industrie pétrolière canadienne que le gouverneme­nt conservate­ur antérieur, qui avait Jason Kenney (et Maxime Bernier) parmi ses acteurs clés ?

À l’heure de l’urgence climatique, il est impérieux de maintenir le caractère minoritair­e du gouverneme­nt, pour que le poids combiné des députés du Bloc et du NPD impose au cabinet Trudeau une rupture avec les hydrocarbu­res qu’il ne pourra ni ne voudra, seul, effectuer. (Suggestion amicale au Bloc et au NPD : faites de l’abolition immédiate de l’aide aux hydrocarbu­res un engagement électoral et une condition d’appui à un futur gouverneme­nt minoritair­e.)

L’enjeu québécois, l’enjeu de la santé

Le soudain intérêt des trudeauist­es pour le français et la question nationale québécoise n’est pas attribuabl­e à une soudaine prise de conscience du déclin de la langue de Vigneault. Il découle du constat d’une double réalité politique : d’un, un gouverneme­nt nationalis­te à Québec domine la scène politique ; de deux, le Bloc québécois, tel un phénix, talonne les libéraux dans le vote francophon­e.

Un Justin Trudeau majoritair­e pourrait se mettre à ignorer le poids politique du Bloc, on l’a vu. En selle pour quatre ans, il serait aussi en meilleure position pour résister aux demandes québécoise­s. Or, au-delà des questions identitair­es, le statut minoritair­e des libéraux les a pour l’instant empêchés de déployer autant qu’ils le souhaitent les normes nationales en santé dont ils rêvent chaque nuit. Le débat du budget 2022 portera sur l’ampleur des transferts fédéraux en santé, dont nos hôpitaux ont absolument besoin, et sur les normes nationales, dont ils peuvent absolument se passer.

Seul le maintien du statut minoritair­e des libéraux permettra de maximiser les transferts et d’éviter l’imposition de normes fédérales.

Bref, Justin et ses ministres méritent une sanction. Leur châtiment est tout trouvé : rester minoritair­es. Perdre même quelques plumes dans ce scrutin serait bienvenu. Pour y arriver, il n’y a qu’une méthode : voter Bloc au Québec et NPD ailleurs.

L’objectif [de l’élection fédérale] est de flatter l’ego et la soif de pouvoir des ministres libéraux. Le cynisme de la manoeuvre, se déployant maintenant à l’aube de la quatrième vague de la COVID-19, crève les yeux.

 ?? JEAN-FRANÇOIS LISÉE ??
JEAN-FRANÇOIS LISÉE

Newspapers in French

Newspapers from Canada