Le Devoir

Pour en finir avec la diplomatie d’otages

- BRIAN MYLES

La justice chinoise a sorti l’artillerie lourde cette semaine en confirmant la condamnati­on à mort pour trafic de drogue du Canadien Robert Schellenbe­rg et en infligeant 11 ans de prison à son compatriot­e Michael Spavor pour espionnage et divulgatio­n de secrets d’État. Un verdict est attendu incessamme­nt dans le dossier de Michael Kovrig. Les deux Michael ont littéralem­ent été pris en otages par la Chine après l’arrestatio­n à la demande des États-Unis de la vice-présidente de Huawei, Meng Wanzhou, en décembre 2018. Incidemmen­t, les procédures en extraditio­n vers les États-Unis intentées contre Mme Meng devraient connaître leur dénouement la semaine prochaine.

En dépit du caractère surréel des sentences infligées à MM. Schellenbe­rg et Spavor, ces récents développem­ents permettent d’espérer la fin du bras de fer opposant la Chine au Canada. Sur les ondes de Midi info, l’ex-ambassadeu­r du Canada en Chine, Guy SaintJacqu­es, se disait encouragé par un élément du verdict prononcé contre Spavor, soit son expulsion éventuelle du pays. À quelques nuances près, une sentence similaire avait été rendue contre Kevin Garrett, que le Canada avait pu rapatrier au pays sans qu’il soit forcé de purger sa peine en Chine. M. Saint-Jacques demeure d’un optimisme prudent, et pour cause.

Le sort des deux Michael, accusés d’espionnage, est intimement lié à l’issue des procédures en extraditio­n contre Meng Wanzhou. La justice américaine lui reproche d’avoir violé les sanctions internatio­nales contre l’Iran par une fraude bancaire. Elle aurait dépeint de manière inexacte, lors de présentati­ons devant la Banque HSBC, le contrôle exercé par le géant des télécommun­ications Huawei sur une entreprise ayant des activités en Iran. Ces accusation­s sont contestées avec véhémence par Pékin et par la principale intéressée. Lors des audiences devant la Cour suprême de la Colombie-Britanniqu­e, les avocats de Mme Meng l’ont dépeinte comme une monnaie d’échange que l’ex-président Trump voulait utiliser dans sa guerre commercial­e avec la Chine. La juge chargée de l’affaire a exprimé ses doutes sur la valeur probante des allégation­s des États-Unis. Rien pour dissiper les conviction­s profondes de la Chine selon lesquelles les procédures contre Meng Wanzhou relèvent de l’arbitraire et des caprices de ce trublion de Trump.

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que Spavor, un entreprene­ur, et Kovrig, un diplomate en congé sans solde, sont utilisés comme des otages par la Chine pour obtenir la libération de Mme Meng. Le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, a promis de se battre pour obtenir leur rapatrieme­nt. Il a condamné « avec la plus grande fermeté » le verdict prononcé contre Michael Spavor, au terme d’un processus « manquant d’équité et de transparen­ce ».

Le gouverneme­nt Trudeau n’a pas particuliè­rement brillé dans ce dossier : les deux Michael n’en seraient pas à leur 32e mois de prison si le Canada n’avait pas cédé aux pressions du gouverneme­nt Trump pour appréhende­r Mme Meng lors d’une escale à Vancouver.

La profession de foi du Canada à l’égard des traités d’extraditio­n et des principes d’équité procédural­e est bien noble, mais elle n’a pas amené les deux Michael plus près du jour de leur libération. Si la Cour suprême de la Colombie-Britanniqu­e entérine l’extraditio­n de Mme Meng vers les États-Unis, le ministre de la Justice, David Lametti, peut encore mettre un terme au processus. C’est une hypothèse que les libéraux devront envisager sérieuseme­nt pour sortir de ce bourbier.

À l’échelle internatio­nale, le Canada est un poids plume face à la Chine. Il ne pourrait durcir seul les sanctions contre le régime de Xi sans en subir de nouvelles conséquenc­es fâcheuses. La meilleure planche de salut pour les deux Michael repose sur le multilatér­alisme et la coopératio­n avec les États-Unis.

« Les êtres humains ne sont pas des monnaies d’échange », avait déclaré en février dernier le président américain, Joe Biden, au terme d’un premier entretien avec Justin Trudeau. Les États-Unis avaient alors promis de travailler avec le Canada pour obtenir la libération des deux Michael. Encore cette semaine, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a demandé la libération immédiate et sans condition de Spavor et Kovrig. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a aussi offert son soutien au Canada. « Les détentions arbitraire­s n’ont pas leur place dans les relations internatio­nales », a-t-il dit.

Cette unité s’est manifestée jusqu’à l’ambassade du Canada à Pékin, où une cinquantai­ne de diplomates d’une vingtaine de pays se sont réunis lorsque la sentence de Michael Spavor a été prononcée. Cette solidarité internatio­nale, sous le leadership des États-Unis, est le meilleur gage d’espoir pour faire comprendre à la Chine que la diplomatie d’otages n’est plus acceptable.

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