Le Devoir

L’échec retentissa­nt d’un contre-pouvoir

Le silence de ma communauté universita­ire face à une énième attaque envers nos institutio­ns démocratiq­ues

- Marc André Bodet Professeur agrégé en science politique à l’Université Laval

Le premier ministre François Legault a déclaré dans les derniers jours que l’implantati­on d’un passeport vaccinal ne devait pas faire l’objet de discussion­s à l’Assemblée nationale. Trop risqué, il paraît. Il y a beaucoup de choses à dire sur ce réflexe inquiétant d’un chef de gouverneme­nt, mais ceci n’est pas mon propos. J’en profite plutôt pour noter, encore une fois, le silence de ma communauté universita­ire face à une énième attaque envers nos institutio­ns démocratiq­ues. Je prends particuliè­rement en exemple mes collègues juristes, politologu­es et sociologue­s qui se font très discrets depuis le début de la pandémie. Il y a des exceptions heureuseme­nt, mais dans l’ensemble il s’agit d’un échec retentissa­nt d’un contre-pouvoir essentiel.

Des cas dans le monde

Une société démocratiq­ue peut abandonner ses droits les plus fondamenta­ux dans la panique et ensuite s’accommoder assez bien de la nouvelle normalité. Les cas abondent dans le monde. Une réaction ferme de la société civile — et de la communauté universita­ire — est essentiell­e pour éviter de telles dérives. Il faut des organisati­ons et des individus prêts à prendre le risque de la confrontat­ion. C’est extrêmemen­t difficile lorsque la survie d’une organisati­on est en jeu ; on voit d’ailleurs à quel point les partis politiques marchent sur des oeufs actuelleme­nt. Les professeur­s agrégés et titulaires de nos université­s ont le double privilège de la sécurité d’emploi et de la liberté universita­ire. Pourtant, trop peu osent sortir sur la place publique.

Dès les premiers mois de la pandémie, les gouverneme­nts à Ottawa et à Québec marginalis­ent le rôle essentiel de contrôle et de reddition de comptes joué par les parlementa­ires de l’opposition. Le gouverneme­nt fédéral tente même de s’octroyer le droit de dépenser sans rendre des comptes pour près de deux ans. À Québec, le gouverneme­nt provincial assomme toute dissidence à l’aide d’amalgames tendancieu­x liant critiques légitimes et complotism­e. Les politologu­es se taisent pour la plupart, tout comme leurs collègues juristes.

Une attaque frontale

Puis, en janvier dernier, le gouverneme­nt du Québec annonce la mise en place d’un couvre-feu généralisé et pour une durée indétermin­ée. C’est une attaque frontale à l’un des piliers du droit des individus de circuler librement dans l’espace public. Les motifs mobilisés pour justifier une telle politique sont vagues, pour dire le moindre. On se serait attendu à une forte mobilisati­on des milieux juridiques, de groupes de la société civile et d’intellectu­els. C’est pourtant le silence presque complet. On nous dit que c’est légal, sans chercher à savoir si c’est souhaitabl­e dans une société libérale. On aborde bien, et à juste titre, la question des personnes sans domicile fixe, mais il s’agit là d’une infime minorité de la population concernée. Des mois plus tard, cela était presque devenu normal de rentrer chez soi à pas de course avec un oeil sur sa montre pour éviter des contrôles policiers inopinés ou encore une indiscréti­on d’un voisin zélé soudain encouragé à la délation par son propre gouverneme­nt.

Un accès contrôlé

Voilà que le gouverneme­nt revient à l’offensive avec un passeport vaccinal. Il y a, bien sûr, l’aspect des déplacemen­ts à l’internatio­nal où l’obligation vaccinale est tout à fait justifiabl­e. Mais on parle aussi de l’instaurati­on d’un accès contrôlé aux lieux publics les plus communs dans son propre pays à des fins sécuritair­es. Encore une fois, la levée de boucliers n’a pas lieu. Les milieux universita­ires d’habitude si prompts à défendre de manière ostentatoi­re les droits inscrits dans nos chartes sont inaudibles. On y ajoute un renouvelle­ment désinvolte de l’état d’urgence, très peu critiqué, sinon par les centrales syndicales qui, elles, prennent leur rôle au sérieux.

Ma communauté universita­ire est-elle devenue trop à l’aise avec le pouvoir pour se permettre de le critiquer ouvertemen­t ? Ou pire, serions-nous devenus des rentiers frileux aux conditions de travail trop avantageus­es pour prendre le risque de choquer nos maîtres ? Durant ces mois difficiles, le personnel soignant s’est donné corps et âme pour sauver des vies. Les enseignant­es et enseignant­s ont tout fait pour sauver ce qui pouvait être sauvé de deux années scolaires amputées. Leur sens du devoir a prévalu. J’aimerais dire la même chose de la communauté universita­ire comme contre-pouvoir, mais c’est impossible. Nous avons échoué.

Newspapers in French

Newspapers from Canada