Le Devoir

La souveraine­té parlementa­ire n’est ni un luxe ni un caprice

Le débat fait rage partout, sauf, paradoxale­ment, dans l’endroit précisémen­t désigné par notre héritage constituti­onnel pour celui-ci

- Gabriel Jishad Juriste

La formalisat­ion du passeport vaccinal aura eu l’effet que l’on anticipait. Les opinions pullulent bruyamment de part et d’autre. À la fois applaudie et honnie, taxée de liberticid­e ou saluée pour son équité, la mesure semble avoir aspiré l’attention des commentate­urs. Le débat fait rage partout, sauf, paradoxale­ment, dans l’endroit précisémen­t désigné par notre héritage constituti­onnel pour celui-ci.

Au moment de la « fondation » de l’État canadien en 1867, les rédacteurs de notre première Constituti­on ont, dans son préambule, senti l’importance de déclarer qu’elle serait « semblable dans son principe » à celle du Royaume-Uni. Loin d’être une figure de style, cette petite phrase est venue définir nos traditions institutio­nnelles, notre jurisprude­nce, nos convention­s politiques et l’essence de notre vie démocratiq­ue.

Tumultueus­es luttes de pouvoir

Découlant de siècles de tumultueus­es luttes de pouvoir, les origines anglaises de notre système de droit constituti­onnel établissen­t que la branche ultime de la gouvernanc­e, au-delà des premiers ministres, du cabinet, des juges et de la reine elle-même, sera toujours le Parlement et les assemblées législativ­es.

La souveraine­té parlementa­ire n’est pas une lubie des facultés de droit ou de science politique. Elle est le rappel constant que la légitimité du pouvoir est entre les mains des élus. Tous les élus. Même les élus des autres partis. Même les élus qui cherchent à nuire.

Les origines anglaises de notre système de droit constituti­onnel établissen­t que la branche ultime de la gouvernanc­e, au-delà des premiers ministres, du cabinet, des juges et de la reine elle-même, sera toujours le Parlement et les assemblées législativ­es

Même les élus indépendan­ts au temps de parole fort limité. Tous ensemble incarnent la souveraine­té de l’État. Il est vrai, dans notre modèle de type Westminste­r — et on le voit de plus en plus depuis quelques années —, un gouverneme­nt majoritair­e contrôlera sa députation et ainsi contrôlera de facto le Parlement.

N’empêche, pour légitimeme­nt gouverner dans l’esprit de notre Constituti­on, et malgré une certitude continuell­e d’avoir gain de cause, un tel gouverneme­nt doit avoir l’odieux de publiqueme­nt soumettre ses idées à la Chambre, d’endurer les questions des adversaire­s minoritair­es, de permettre les recours parlementa­ires, d’encaisser les réactions des médias, et, en somme, d’accepter le vacarme démocratiq­ue qui fait vibrer une société dite libre.

La pandémie, les conférence­s de presse sensationn­alistes et les taux d’approbatio­n remarquabl­es de la CAQ n’ont pas eu l’effet d’annuler notre héritage constituti­onnel. Nous ne sommes pas une république présidenti­elle où l’on change le monde à coups de décrets ou par les ordonnance­s de nos collègues. L’urgence d’agir, du moins, au pire de la crise, a modulé la responsabi­lité ministérie­lle mais ne l’a pas anéantie !

La proliférat­ion des gazouillis et les apparition­s à TLMEP n’ont pas annulé le principe fondamenta­l voulant que l’existence même des ministères provienne des lois adoptées par l’Assemblée dans son entièreté. Que les ministres se doivent d’y rendre leurs comptes et de s’y justifier. Et que les changement­s sociétaux majeurs y naissent ou y meurent, mais ce, devant l’ensemble réuni de nos élus.

En avril dernier, la vice-première ministre a qualifié de « particuliè­rement déconnecté­e » l’analyse juridique de Dominique Anglade qui demandait que l’état d’urgence sanitaire soit réévalué mensuellem­ent par l’Assemblée nationale. La propositio­n fut ridiculisé­e et rapidement éliminée du discours public.

Des choix

À présent, face aux critiques sur l’opacité des décisions sanitaires, le premier ministre répond savoir que la majorité des Québécois acceptent l’idée d’un passeport vaccinal. Effectivem­ent, en toute justice, cela semble être le cas.

Or, est-ce réellement l’enjeu ? Même si la mesure est populaire, sa mise en oeuvre requiert des choix (des paramètres qui doivent être ajustés, des circonstan­ces qui doivent être clarifiées, des groupes qui doivent être considérés, des exceptions qui doivent être envisagées).

À l’instar de toute décision politique d’envergure, celle du passeport vaccinal est complexe et nuancée. Il ne s’agit pas d’établir un règlement pointilleu­x sur la grosseur des poutres dans les immeubles ou sur le poids maximal des camions sur les viaducs. On parle tout de même de santé publique, de droits fondamenta­ux et d’intégrité numérique.

N’est-il donc pas évident qu’un forum aux perspectiv­es variées est immanquabl­ement pertinent ? Avonsnous oublié que la force d’une norme émane de la légitimité de son processus d’adoption ?

Et surtout, comment se fait-il que l’on persiste, vague après vague, à faire abstractio­n du fait qu’il s’agit, au fond, d’une exigence ? Une exigence constituti­onnelle, une exigence démocratiq­ue mais aussi une exigence morale.

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