Série Le Tricolore entre les pages
Le roman Ça sent la coupe de Matthieu Simard décrit admirablement la passion qui anime les amateurs des Canadiens qui encouragent leur équipe préférée
Les Canadiens de Montréal occupent, depuis des générations, une place centrale dans l’imaginaire collectif québécois. Ils font rêver, ils font rager, ils font espérer. Leurs victoires soulèvent un peuple entier. La passion du Tricolore qui unit les Québécois de toutes origines et de toutes classes sociales a inspiré une grande quantité de chansons, de films, de séries télé, de pièces de théâtre et même de peintures. Mais quelle place le CH a-t-il dans la littérature québécoise ? Cette série d’articles se penche sur cette question. Troisième livre analysé : Ça sent la coupe de Matthieu Simard.
Les vrais amateurs de sport du monde entier appuient leurs équipes à la vie, à la mort. Ils leur sont fidèles, les accompagnent dans la douleur de la défaite et l’euphorie de la victoire.
C’est exactement ce que fait Matthieu, le personnage principal du roman Ça sent la coupe. Dans la quiétude de son trois et demie montréalais, il regardera sur son énorme télé 51 pouces la totalité des 82 parties de la saison régulière de 2003-2004 que disputeront les Canadiens de Montréal.
Chaque joute sera au centre d’un chapitre, où tout l’univers du jeune trentenaire prendra forme. Ainsi, le lecteur fera la connaissance des amis du narrateur, qui viendront suivre les parties en sa compagnie et en profiteront pour se confesser : Mike, le timide ; Richard, le tombeur ; Patrice, l’égocentrique ; Darren, la brute ; Nath, sa petite soeur ; Julie, sa copine ; ainsi que Raphaëlle et Andréanne, ses amantes de passage.
« J’ai eu l’idée d’écrire sur le hockey, mais du point de vue du partisan, explique Matthieu Simard. Dans ce roman, le hockey est surtout un prétexte pour parler de la vie, de l’amour et de l’amitié. De plus, le fait de construire le livre autour d’une saison de hockey donnait une structure naturelle au livre, ce qui m’a plu dès le début. »
L’auteur, natif de Montréal, venait tout juste de terminer son premier roman, Échecs amoureux et autres niaiseries, quand il s’est lancé dans l’écriture de son récit. « Je voulais que les hauts et les bas du CH aient un impact sur les humeurs des personnages. De la même manière que les performances de l’équipe ont une influence sur le moral de notre société. On l’a bien vu au printemps dernier : quand les Canadiens gagnent, surtout en séries, les gens sont plus heureux à Montréal. »
Matthieu, le personnage principal,
qui ressemble étrangement à l’auteur, exprime parfaitement l’effet qu’a le hockey dans sa vie : « Rivé devant mon grand écran, je regarde Koivu, Zednik et Perreault jouer comme s’ils étaient Gretzky, Kurri et Tikkanen, et j’oublie ma vie, pendant deux heures et demie, j’oublie que j’ai une vie. C’est pour ça que j’aime tant le hockey. »
Un très long passage à vide
Ça sent la coupe, qui fut adapté au cinéma en 2017, se déroule au coeur de la période la plus pénible de la glorieuse histoire du Tricolore. Il en fallait alors, du courage et de la foi, pour encourager un club qui était tout sauf légendaire et qui semblait complètement déboussolé depuis le fracassant départ de Patrick Roy, en 1995, et la « malédiction du Casseau » qui s’est ensuivie et qui semble toujours affliger la formation.
Alors que les défilés de la coupe Stanley étaient devenus une habitude sur la rue Sainte-Catherine dans les années 1950, 1960 et 1970, les « Habitants » du début des années 2000 offraient un spectacle terne et ennuyant, ne pouvant faire mieux que de lutter désespérément chaque saison pour se tailler une place en séries. « J’ai un souvenir un peu flou des équipes des Canadiens de cette époque, avoue Simard. C’est comme une espèce de vide dans l’histoire du CH. L’organisation alignait des clubs de plombiers et s’est cherchée très longtemps. Il y avait énormément de roulement chez les joueurs et peu de ceux-ci soulevaient vraiment les passions. La mode était à la “trappe” dans l’Est, avec les Devils du New Jersey. Il se pratiquait donc du hockey ultradéfensif et plate. En plus, le départ des Nordiques, en 1993, a enlevé beaucoup de passion chez les partisans de hockey au Québec. L’adversaire principal des Glorieux a disparu du jour au lendemain. »
En analysant l’histoire de la SainteFlanelle, il est en effet consternant d’observer que l’exode des Nordiques vers le Colorado coïncide avec le début de plusieurs décennies de médiocrité chez les Canadiens, qui n’ont pas soulevé de coupe Stanley depuis 28 ans, de loin la plus longue disette de l’équipe, qui s’élevait auparavant à… 13 ans. Comme si le fait d’hériter d’un monopole sportif dans la province avait érodé la motivation des dirigeants à tout faire pour aller remporter un autre championnat. Comme leur volonté d’aligner des joueurs québécois, qui s’est également évaporée, depuis la disparition des fleurdelisés.
Il faut dire que les attentes des partisans d’aujourd’hui ont fondu comme neige au soleil et qu’ils semblent désormais se satisfaire d’une poussée en séries tous les cinq ou dix ans.
Le sauveur russe
Vers la fin de Ça sent la coupe, la troupe menée par Claude Julien parvient tout de même à accéder in extremis aux séries éliminatoires. La troupe d’amis au grand complet se rassemble alors chez Matthieu pour assister à un autre classique Bruins-Canadiens. Montréal, mené par les Saku Koivu, Mike Ribeiro, Richard Zednik, Sheldon Souray, la recrue Michael Ryder et le gardien José Théodore, ne semble pas faire le poids contre ses puissants adversaires noir et jaune, qui ont terminé en tête de la division Nord-Est. Mais un nouveau joueur aux mains magiques a fait son entrée en fin de saison et donne une nouvelle impulsion à la formation : Alexei Kovalev.
« L’Artiste » aidera ses coéquipiers à combler un déficit de trois défaites contre une victoire et, à la surprise générale, les Habitants remporteront la série dans un match 7 qui se voudra mémorable. « Kovalev est incroyable. Ils ont gagné. J’ai sauté partout en criant. Tout est permis pour la suite. Ça sent la coupe. »
Malheureusement, l’équipe préférée du narrateur se fera sèchement balayer par le Lightning de Tampa Bay. Menée par les formidables Québécois Vincent Lecavalier et Martin St-Louis, l’organisation floridienne soulèvera la coupe Stanley quelques semaines plus tard.
Toujours des raisons d’espérer
La naissance de ses deux enfants a quelque peu éloigné Matthieu Simard du hockey pendant quelques années. Mais l’auteur, aujourd’hui âgé de 47 ans, a recommencé dernièrement à regarder les parties des Canadiens en compagnie de son fils de 12 ans, à qui il a transmis sa passion du sport. « Plus jeune, on regardait toujours le CH en famille. Je garde d’excellents souvenirs des Coupes Stanley de 1986 et de 1993. Ma mère et moi sommes même allés porter un bouquet de fleurs à Mats Näslund, lors de mon premier défilé. Et, comme beaucoup d’enfants de ma génération, j’avais une affiche de Patrick Roy dans ma chambre. »
Après des années de déception, l’espoir semble enfin être de retour à Montréal, avec des joueurs comme Cole Caufield et Nick Suzuki. La dernière présence du bleu-blanc-rouge en finale a également démontré, au printemps dernier, à quel point cette équipe était encore capable de faire vibrer Montréal et le Québec tout entier. « J’aimerais beaucoup que mon fils vive les mêmes émotions que j’ai vécues plus jeune et que ça sente de nouveau la coupe en ville », conclut l’auteur, qui a si bien immortalisé sur papier la passion qui anime des centaines de milliers de sportifs de salon.
Ceux-ci sont inévitablement animés, lors de chaque début de saison des Glorieux, d’une nouvelle dose d’espoir qui les motive à regarder des centaines d’heures de hockey. Avec l’espérance ultime que leur équipe rapporte enfin à Montréal le grand trophée argenté depuis si longtemps désiré.