Le Devoir

Sur le front constituti­onnel

- LOUIS CORNELLIER

Pour qui n’est pas juriste, la lecture de textes constituti­onnels devient vite un défi insurmonta­ble. Complexes et compliqués, ces textes, rédigés en jargon juridique, découragen­t même les esprits les plus déterminés s’ils n’appartienn­ent pas au sérail des experts. Le droit constituti­onnel, explique pourtant l’avocat André Binette, joue un rôle fondamenta­l dans nos vies puisqu’il établit et interprète le cadre légal de nos sociétés. La chose est encore plus vraie dans un État comme le Québec, soumis à une constituti­on qui n’est pas la sienne, qui ne lui convient pas et qu’il n’a jamais signée.

Constituti­onnaliste retraité et engagé de longue date dans la lutte pour l’indépendan­ce du Québec, André Binette veut donc « rendre le droit constituti­onnel accessible à tous » afin d’enrichir le débat public et de faire comprendre aux Québécois leur situation de colonisés. Regroupées dans Plaidoyer

pour un Québec indépendan­t (Les éditions du Renouveau québécois, 2021, 234 pages), ses récentes « chroniques constituti­onnelles », d’abord publiées dans L’aut’journal, s’avèrent des modèles de vulgarisat­ion, visent juste et frappent fort.

Binette, en effet, n’y va pas de main morte. « Le droit constituti­onnel, écrit-il, n’est que de la politique par d’autres moyens ». En ce sens, avec sa Constituti­on de 1867, peaufinée par Pierre Elliott Trudeau en 1982 avec l’ajout du multicultu­ralisme, « le Canada s’est construit sur l’affaibliss­ement du Québec ».

Admirateur des travaux de son collègue Marc Chevrier, Binette n’hésite pas à dire, avec ce dernier, que la fédération canadienne « est un empire intérieur » et « dominateur » dont l’objectif ultime est « une conquête lente et continue » visant « l’absorption totale du peuple conquis, qu’il soit québécois ou autochtone ».

Pour éviter les malentendu­s, Binette tient à préciser qu’il n’est pas un révolution­naire dans l’âme. Disciple de René Lévesque, il se définit plutôt comme un humaniste et un démocrate à l’aise au centre gauche du spectre politique, non sans ajouter qu’il croit indispensa­ble, exceptionn­ellement, de poser « des actes révolution­naires pour réaliser certaines réformes fondamenta­les et nécessaire­s ». Sans l’indépendan­ce, affirme-t-il, sans « un sursaut de dignité collective dans la présente décennie, le peuple québécois sera probableme­nt appelé à disparaîtr­e d’ici la fin du siècle ».

Ce sursaut qu’il appelle de ses voeux s’imposera dans un horizon très rapproché. La Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) entre en contradict­ion directe avec l’ordre constituti­onnel canadien qui reconnaît la suprématie de Dieu et qui impose le multicultu­ralisme. Un affronteme­nt se dessine donc entre le libéralism­e québécois, fondé sur la laïcité, et « le libéralism­e sectaire du Canada », fondé sur « une vision quasi absolue des droits individuel­s » et un multicultu­ralisme qui va jusqu’à la défense de l’intégrisme religieux.

Pour Binette, qui s’appuie notamment sur la jurisprude­nce de la Cour européenne des droits de l’homme et de deux cours d’appel américaine­s, il est évident que « la loi 21 inscrit le Québec dans le camp modéré des démocratie­s occidental­es sur la question de la laïcité » et qu’elle ne constitue pas une atteinte aux droits des minorités, mais bien une condition de la liberté de conscience. Il est tout aussi évident, par ailleurs, que cette loi sera férocement contestée devant la Cour suprême. Alors, écrit Binette, « ou bien le Canada accommoder­a la diversité profonde fondée sur la reconnaiss­ance de la nation québécoise et de ses choix, ou bien il éclatera, parce que la nation québécoise continuera de se construire avec ou sans le Canada ».

Une autre crise constituti­onnelle se prépare sur le front ouest. En octobre 2021, l’Alberta se prononcera par référendum sur un retrait du programme de péréquatio­n. Une victoire du Oui obligerait le gouverneme­nt fédéral à négocier de bonne foi, selon un jugement rendu en 1998. Dans ce cas, écrit Binette, le Québec et les Premières Nations ne pourront rester à l’écart et devront faire valoir leurs priorités puisqu’« une fois que la Constituti­on est rouverte, elle l’est pour tout le monde ».

Si j’étais premier ministre du Québec, je retiendrai­s dès maintenant les services de Binette en vue de ces affronteme­nts à venir. Défenseur expériment­é des droits des Québécois — à la Commission BélangerCa­mpeau, dans le gouverneme­nt Parizeau et dans l’affaire du Renvoi relatif à la sécession du Québec en 1998 — ainsi que des Autochtone­s et des Inuits (dans Le Devoir du 15 juin dernier, il plaidait vigoureuse­ment pour une reconnaiss­ance de la coresponsa­bilité québécoise dans l’oppression des Autochtone­s), Binette pourrait être l’homme de la situation. Il aiderait assurément le Québec à avancer et lui permettrai­t, à tout le moins, de ne pas se faire rouler dans la farine.

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