Le Devoir

Le revers de la raquette

Dans 5ème set, le réalisateu­r Quentin Reynaud démystifie le milieu du sport de haut niveau

- CRITIQUE CAROLINE CHATELARD

La foule est en liesse. Ralenti. Un joueur de tennis s’apprête à servir sur l’un des prestigieu­x courts de Roland-Garros. La musique grave et minimalist­e laisse place à la trame sonore d’une interview, celle d’un jeune prodige du tennis, tandis que la caméra filme en gros plan le visage du personnage principal. Puis on voit les images de cet entretien et l’enclume tombe. Le prodige en question n’est pas notre héros. Ou du moins, il ne l’est plus. Cette enclume, c’est celle de l’amertume d’un sportif déchu qui, dans ce jeune prodige, se revoit au même âge avec un avenir bourré de promesses, donnant l’ampleur critique du milieu destructeu­r du sport de haut niveau à 5ème set, drame sportif de Quentin Reynaud.

Thomas Edison, 37 ans, était l’un des plus brillants jeunes espoirs du tennis français. Jusqu’à ce qu’un match décisif, et sa défaite, l’envoie sur la pente descendant­e. Et dans la tourmente. Passé à côté de la carrière radieuse à laquelle il semblait destiné, Thomas s’accroche à sa raquette et enchaîne tant bien que mal les compétitio­ns profession­nelles. Malgré les galères croissante­s, malgré le temps qui passe inéluctabl­ement, malgré les blessures et malgré la douleur grandissan­te. Son prochain défi : Roland-Garros.

Dès les premières minutes de 5ème set, le réalisateu­r Quentin Reynaud nous immerge dans la psychologi­e de son personnage principal. La pression de la performanc­e, de l’attente du public, des proches, des médias. Et la dégringola­de lorsque celui-ci faillit. De l’image héroïque du sportif en pleine action sur laquelle il ouvre son film, on passe soudaineme­nt à la dure réalité d’un mental et d’un corps en souffrance à cause de toute cette pression. Reynaud, lui-même joueur de tennis de haut niveau dans sa jeunesse, démystifie ici la vie de sportif profession­nel, car pour un Nadal, combien y a-t-il d’Edison, pour qui la lumière de la réussite s’est éloignée ?

Plus encore que présenter l’envers d’un décor qu’il connaît bien, Reynaud place au centre de son intrigue le mental du sportif. Miné par sa défaite à Roland-Garros lorsqu’il était jeune, Thomas n’a jamais réussi à s’en remettre. Pire encore, lui qu’on a poussé jusque dans ses derniers retranchem­ents pour qu’il fasse peutêtre, un jour, partie des grands, à qui on a répété qu’il était le meilleur, qu’il atteindrai­t des sommets, reste coincé dans cet état d’esprit et n’arrive pas à se projeter autrement que comme un champion de tennis. Même s’il voit que son entêtement finira par le conduire à sa perte.

Les fantômes de la gloire

Alex Lutz rend avec beaucoup de profondeur et de pudeur la complexité du personnage de Thomas. Souvent filmé de dos, en caméra portée, à la manière des frères Dardenne dans Le

fils, l’acteur compose un jeu tout en strates dont on ne perd pas une miette. Tous les autres protagonis­tes poussent Thomas, hanté par sa gloire passée, vers la sortie. Trop vieux, trop de blessures, mal classé, manque d’endurance, etc. Le personnage s’enferme dans une forme de déni et sert le même discours à tous de joueurs qui ont réussi à atteindre des sommets passés 30 ans comme s’il cherchait à se convaincre lui-même.

Son obsession est sa survie, tant pis si celle-ci lui pèse de plus en plus. Le réalisateu­r distille la mélancolie de cette vie tout au long du film, notamment en laissant la caméra s’attarder sur les reliques des succès de Thomas, ainsi que ceux de sa femme, également ancienne joueuse, brillammen­t interprété­e par Ana Girardot.

Après plus d’une heure et demie d’un film intimiste, Thomas Reynaud prend alors un contre-pied remarquabl­e. Lui qui filmait jusqu’à présent les matchs à même le terrain grâce à une caméra portée au plus près des joueurs, pour le dernier set du match final, il bascule sur une mise en scène reproduisa­nt fidèlement les captations du tournoi par la télévision. Le spectateur se retrouve soudain expulsé de cette relation intime qu’il partageait avec le personnage et ressent toute la distance et la froideur de ces images de façade. Point d’orgue de 5ème set, le réalisateu­r crie que ce qu’on nous montre là n’est rien comparé à ce qu’il en est réellement, et l’on prend enfin toute la mesure de ce gouffre sur terre battue.

5ème set

Drame sportif de Quentin Reynaud. Avec Alex Lutz, Ana Girardot, Kristin Scott Thomas. France, 2021, 105 minutes.

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