Il suffirait de presque rien
Truffé de références et de jolies maladresses, Seize printemps se découvre comme le carnet d’une rêveuse refusant d’être de son temps
Bien des actrices avant elle (merci Serge Gainsbourg) et plusieurs autres à sa suite ont temporairement délaissé les plateaux de cinéma pour les studios d’enregistrement. C’est ainsi qu’il y a une quinzaine d’années, Sandrine Kiberlain a elle aussi cédé aux sirènes de la chanson, avec humilité
et un brin d’ironie comme en témoigne ce titre si bien choisi : Manquait plus qu’ça.
Un étonnement similaire a pu accompagner l’annonce que sa fille, et celle de Vincent Lindon, allait faire ses premiers pas au cinéma, à la fois devant et derrière la caméra, signant aussi le scénario, très concis, de Seize
printemps, le tout aux allures de carnet intime. Car Suzanne Lindon, maintenant à l’aube de la vingtaine, a écrit ce conte d’amour et de printemps alors adolescente, et en y mettant beaucoup d’elle-même. Tout n’est pas farci d’éléments biographiques, mais telle une Françoise Sagan du temps de Bonjour tristesse, elle affiche le souci d’illustrer les tourments du coeur à visière levée, et avec la plus grande innocence.
Qu’elle soit au café, au lycée, dans une soirée bruyante ou à marcher seule dans les rues étonnamment désertes de Paris, Suzanne (Lindon, tel un clone de la Charlotte Gainsbourg des années 1980) ne semble trouver sa place nulle part, pas même au sein de sa famille aimante, entre ses parents compréhensifs (Florence Viala et Frédéric Pierrot) et sa soeur plus délurée. Les gens de son âge l’ennuient, et elle ne semble trouver réconfort qu’en dégustant un diabolo grenadine (joli clin d’oeil à Diabolo
menthe, de Diane Kurys), ou en lisant
Boris Vian. Sa route matinale vers ses cours l’amène à passer devant un théâtre, alors que l’on s’apprête, tiens tiens, à monter un Marivaux, Les acteurs de bonne foi.
Un de ceux qui partagent l’affiche, Raphaël (énigmatique Arnaud Valois), aime traîner devant l’entrée, s’offrant ainsi au regard de l’adolescente, pas tant passionnée par l’art théâtral que par la dégaine désabusée de celui qui a deux fois son âge, et une aura mélancolique pouvant ressembler à la sienne. Car autant Suzanne a du mal à composer avec la superficialité de ses copines, autant Raphaël ne semble avoir aucune complicité avec ses camarades de jeu, ou encore le metteur en scène. À coups de prétextes et de rencontres supposément guidées par le hasard, il suffirait de presque rien pour que ce duo plus ou moins interdit franchisse une ligne… dont personne dans leur entourage ne semble se soucier.
Une atmosphère éthérée, vagabonde, plane sur ce conte amoral, enfilant les clins d’oeil comme autant d’images qui tapissent les murs d’une chambre d’adolescente, même s’il est rare qu’ils le soient avec des affiches de films de Maurice Pialat… C’est le charme sincère, un peu suranné et un peu fabriqué, qui se dégage de Seize
printemps tout entier au service des errances mentales et sentimentales d’une héroïne, ou plutôt d’une ingénue, en porte-à-faux avec son époque. Ses postures maladroites devant les autres, et surtout devant l’amour, ne sont pas nouvelles dans le cinéma français, Lindon s’inscrivant dans une longue lignée de Lolita en blue-jean et aux cheveux en bataille.
Or, rien n’est scabreux ni salace dans cette parenthèse d’une jeunesse dorée et parisienne. La cinéaste imprègne le tout d’une grande pudeur, et les élans érotiques de ce couple sont sans cesse contenus ; il ne veut aller ni au bout de ses envies, ni de ses fantasmes. Baisers sur les joues, regards incandescents, promenades sans but pour calmer le désir, ou l’attiser, Suzanne et Raphaël cultivent un amour courtois, incongru, voire inconfortable. Et à défaut de s’enlacer dans une enivrante intimité, c’est sur l’émouvant Stabat Mater de Vivaldi qu’ils exécutent, malgré un synchronisme relatif, quelques pas de danse comme pour suggérer une forte attirance sans se dénuder — l’un devant l’autre, et devant la caméra.
Il se passe somme toute peu de choses enivrantes, pour ainsi dire presque rien, dans ce premier essai d’une cinéaste qui, au-delà de la renommée de ses parents, devra surtout s’affranchir de ses influences parfois encombrantes, et exiger de l’actrice qu’elle aspire à devenir plus d’aplomb, et une meilleure diction. Elle nous a ouvert son journal intime ; il lui faut maintenant aller au-delà de ses états d’âme.
Seize printemps
Drame sentimental de Suzanne Lindon. Avec Suzanne Lindon, Arnaud Valois, Frédéric Pierrot, Florence Viala. France, 2020, 76 minutes. En salle.