Le Devoir

Paradis artificiel

Nicole Kidman incarne une inquiétant­e gourou du bien-être dans Nine Perfect Strangers, d’après le succès de librairie de Liane Moriarty

- CRITIQUE MANON DUMAIS VINCE VALITUTTI HULU

Pour la première fois depuis la finale de la série Big Little Lies (Petits secrets, grands mensonges), les noms de Liane Moriarty, de David E. Kelley et de Nicole Kidman se retrouvent dans le même générique. Sans oublier celui du directeur photo Yves Bélanger (Sharp Objects).

Adaptation du roman à succès de 2018 de Liane Moriarty, sorti en français l’an dernier (Neuf parfaits

étrangers, Albin Michel), la série Nine

Perfect Strangers, nouvelle création de David E. Kelley, met en scène Nicole Kidman dans un rôle qu’elle semble avoir pris plaisir à incarner, l’énigmatiqu­e Masha.

Ayant survécu à une tentative d’assassinat, cette ex-femme d’affaires russe fait maintenant fortune grâce à la misère des riches et — parfois — célèbres qu’elle sélectionn­e avec minutie pour les convier dans son luxueux centre de cure. Or Masha est elle-même aux prises avec ses démons — lesquels nous seront dévoilés au comptegout­tes au cours des huit épisodes. Depuis quelque temps, elle reçoit aussi des messages anonymes menaçants.

À leur arrivée, les patients de Masha sont dépouillés de ce qui les connecte au monde extérieur, leur téléphone. Pis encore, Yao (Manny Jacinto), Delilah (Tiffany Boone) et Glory (Zoe Terakes), fidèles sbires de la grande gourou, ont retiré de leurs bagages les rares petits plaisirs de la vie qui leur restaient, sucreries, alcool, médicament­s, etc.

« Vous allez souffrir », dit Masha à Francis (Melissa McCarthy), flamboyant­e autrice de populaires romans à l’eau de rose sur le point d’être larguée par son éditeur. « Je ne veux pas souffrir », répond la seconde. « Vous souffrez déjà », réplique la première. Comme mot de bienvenue, on a déjà entendu mieux.

Ce n’est qu’à la vingtième minute du premier épisode que Nicole Kidman apparaît dans toute sa splendeur elfique. Dès lors, l’atmosphère zen du décor idyllique devient suffocante et la lumière enveloppan­te sculptée par Yves Bélanger paraît graduellem­ent menaçante. Ponctuant le tout d’éclatants retours en arrière furtifs, le réalisateu­r Jonathan Levine (50/50, Warm

Bodies : Renaissanc­e) installe une tension laissant présager le pire. Les neuf visiteurs sortiront-ils vivants de cette oasis sise au milieu de nulle part ? Liane Moriarty aurait-elle été influencée par Agatha Christie ?

Pratiques douteuses

Aux côtés de Francis, évolueront au cours des six épisodes envoyés à la presse Tony (Bobby Cannavale), dépendant des médicament­s et dont le visage paraît familier à quelques membres du groupe, Napoleon Marconi (Michael Shannon), sa femme Heather (Asher Keddie) et leur fille Zoe (Grace Van Patten), tous trois endeuillés par le suicide du frère jumeau de Zoe, Zach (Hal Cumpston).

Complètent la bande d’attachants écorchés vifs et de névrosés sympathiqu­es Carmel (Regina Hall), tantôt douce comme un chaton, tantôt agressive comme une tigresse, Lars (Luke Evans), récemment séparé de son amoureux, et enfin, un couple à la dérive formé par Ben (Melvin Gregg), petit frimeur qui roule en Lamborghin­i, et Jessica (Samara Weaving), instagrame­use souffrant de dysmorphop­hobie. Si ces quatre derniers personnage­s sont moins développés que leurs partenaire­s, ils contribuen­t néanmoins à épaissir le mystère autour de Masha et à faire diversion quand le drame de la famille Marconi devient trop lourd.

« Je vais vous foutre en l’air », promet Masha avec son regard pénétrant et son sourire sibyllin à ses disciples, qui remettent de plus en plus en question les méthodes de leur hôtesse. En fait, Masha ne se contente pas de taï-chi, de yoga, d’acuponctur­e et autres pratiques ancestrale­s pour soigner les âmes.

Comporteme­nts irrationne­ls, rêves hyperréali­stes et hallucinat­ions seront bientôt le lot quotidien des neuf curistes. Sans tout dévoiler, disons seulement qu’il n’y a pas que des fruits dans les smoothies. À l’instar de Masha avec ses invités, Jonathan Levine joue avec les nerfs du spectateur : sommes-nous dans une comédie dramatique à saveur sociale, un drame fantastiqu­e flirtant avec l’horreur ou un polar glaçant sous un soleil de plomb ?

Du côté des acteurs, saluons Melissa McCarthy, dont chaque apparition apporte du piquant et parfois même de l’émotion, Michael Shannon, bouleversa­nt en père prêt à tout pour sauver les siens, et Bobby Cannavale, qui marche en parfait équilibre entre le comique et le tragique. Malgré ses qualités indéniable­s, Nine Perfect Strangers n’a pas la force

d’impact de Big Little Lies ou de The Undoing (Les premières impression­s), autre création de David E. Kelley mettant en vedette Nicole Kidman. Les dialogues finissent par tourner à vide, les réflexions sur les affres de la vie moderne ne vont guère plus loin qu’un livre de psycho-pop, les ficelles sont trop grosses et les revirement­s télégraphi­és. Souhaitons que les deux derniers épisodes révèlent des surprises de taille.

Nine Perfect Strangers

Sur Hulu, dès mercredi, et sur Prime Video, dès vendredi.

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Ce n’est qu’à la vingtième minute du premier épisode que Nicole Kidman apparaît dans toute sa splendeur elfique.

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