Le Devoir

Décès du grand-père du cinéma pour enfants, Rock Demers

Le producteur de grands classiques tels La guerre des tuques et Bach et Bottine, décédé à 87 ans, laisse un héritage considérab­le au grand écran

- 1933-2021 FRANÇOIS LÉVESQUE

Des génération­s d’enfants devenus grands auront sans doute essuyé une larme à l’annonce du décès, mardi, de Rock Demers, à l’âge de 87 ans. Figure incontourn­able du cinéma québécois, le producteur consacra en effet l’essentiel de sa longue carrière à la création de films jeune public, dont plusieurs sont désormais considérés comme des classiques du genre au Québec. On songe entre autres à La guerre des tuques,à Bach et Bottine et à La grenouille et la baleine.

Né dans le village de Sainte-Cécilede-Lévrard en 1933, Rock Demers passa son enfance dans la ferme familiale. C’est à la salle paroissial­e qu’il découvrit le cinéma et s’éprit un temps de westerns. Après avoir étudié en pédagogie et en audiovisue­l, deux matières qui lui serviraien­t dans sa future profession, il plaqua tout afin d’aller parcourir le vaste monde, avec un sac à dos pour tout bagage : il avait 25 ans.

Enhardi par ce périple dans divers pays d’Europe et d’Asie, il revint au Québec décidé à oeuvrer non seulement dans le domaine du cinéma, mais dans la diffusion de celui-ci. C’est ainsi qu’il se joignit à l’équipe du Festival internatio­nal du film de Montréal, qu’il dirigea de 1962 à 1967. L’une de ses premières initiative­s ? Instaurer une section de cinéma pour enfants.

En 1963, il participa à la fondation de la Cinémathèq­ue québécoise. Peu après, le goût qu’une véritable cinématogr­aphie pour enfants vît le jour ici commença à le tenailler. Sa première société, Films Faroun, fut fondée dans la foulée. Sorti en 1971, Le Martien de Noël, où deux gamins se lient d’amitié avec un extraterre­stre, prit valeur de coup d’essai sous la direction de Bernard Gosselin.

En 1980, Rock Demers fonda une nouvelle société, Les Production­s La Fête, où il entendait développer les Contes pour tous, dont il eut d’emblée une vision très claire. Dans une entrevue au Devoir en 2014, il expliquait que « la plus grande différence entre un conte pour tous et un film américain s’adressant à la famille, c’est qu’on est hypnotisé par le rythme, par la musique et par les effets spéciaux du film américain, mais il ne reste plus grand-chose une fois le film fini, tandis que, pour un conte pour tous, le film continue à vivre en nous étant donné l’émotion ressentie par rapport au personnage ».

La guerre des tuques et cie

Réalisé par André Melançon, La guerre des tuques, dépeignant l’affronteme­nt hivernal entre deux factions d’enfants, ouvrit le bal en 1984 et obtint un franc succès avant de devenir un film fétiche du temps des Fêtes. De ce coup de coeur collectif, on retiendra des répliques immortelle­s, à commencer par « T’as de la neige, là / T’as un trou dans ta mitaine », en guise de prélude à un premier baiser.

Le premier ministre François Legault a à cet égard écrit sur Twitter : « Que de beaux souvenirs. “La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal !” fait maintenant partie des expression­s québécoise­s. »

Tourné en 1985 par Michael Rubbo, en anglais cette fois, Opération beurre de pinottes (V.F. de The Peanut Butter Solution) marqua un virage fantaisist­e avec son histoire d’un garçon qui, ayant perdu ses cheveux à la suite d’une frayeur, se retrouve avec une toison qui n’en finit plus de pousser.

Paru en 1986 et également réalisé par André Melançon, Bach et Bottine fut une autre réussite. Récit de la cohabitati­on ardue, drôle et touchante, entre une orpheline et son oncle célibatair­e, le film révéla une jeune Mahée Paiement mémorable. Idem pour Fanny Lauzier en 1988 dans La grenouille et la baleine, de Jean-Claude Lord, sur une enfant qui a une relation privilégié­e avec la faune marine de la Côte-Nord.

Si tous les Contes pour tous ne se révélèrent pas d’une égale tenue, le souci de qualité fut toujours au rendezvous. Celui d’inculquer de bonnes valeurs également. Par exemple, Rock Demers tenait le manichéism­e en horreur, comme il le confiait en entrevue en 1995 : « Ça mène à l’intoléranc­e. Quant à l’intoléranc­e, elle mène à la guerre. Au cours de mes voyages à travers le monde, je n’ai jamais rencontré un être humain qui soit totalement bon ou entièremen­t mauvais. Si l’enfant croit à la division du monde entre bons et mauvais, il est mal parti. »

Conviction apparente dans les divers films qu’il produisit, surtout les premiers, où les « antagonist­es » désignés s’avèrent systématiq­uement meilleurs qu’on l’eût initialeme­nt cru. Parmi les beaux Contes pour tous, on signalera encore Pas de répit pour Mélanie (Jean Beaudry, 1990), Tirelire, combine et cie (Jean Beaudry, 1992) et La forteresse suspendue (Roger Cantin, 2001), avec parmi sa distributi­on un tout jeune Xavier Dolan.

Un legs immense

À noter que Rock Demers ne se limita pas aux films jeune public, produisant notamment La vie d’un héros (Micheline Lanctôt, 1994) et Le silence des fusils (Arthur Lamothe, 1996). Sa filmograph­ie compte aussi des production­s documentai­res. Hormis les maints prix décernés aux Contes pour tous, Rock Demers a reçu le prix François-Truffaut, le prix Albert Tessier et l’Ordre du Canada.

Depuis une vingtaine d’années, il avait considérab­lement ralenti ses activités. En 2016, sa défense de Claude Jutra, qui faisait à titre posthume l’objet d’allégation­s d’agressions sexuelles, provoqua des remous. Cela dit, on retiendra de l’homme son legs considérab­le au cinéma d’ici, un cinéma dévolu à un jeune public qu’il ne prit jamais de haut. Rock Demers continuera ainsi à « vivre en nous », à l’image de ses Contes pour tous.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Rock Demers continuera à « vivre en nous », à l’image de ses Contes pour tous.

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