Le Devoir

La crise afghane s’invite sur la scène électorale

Les partis s’entendent : aucun ne reconnaîtr­a un gouverneme­nt taliban

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Les chefs fédéraux ont trouvé un rare consensus sur le terrain de la campagne électorale mardi, en convenant tous que le Canada ne devait pas reconnaîtr­e les talibans comme titulaires légitimes du gouverneme­nt afghan. En revanche, les libéraux de Justin Trudeau ont été accusés par leurs adversaire­s de ne pas en faire assez pour sortir immédiatem­ent d’ex-collaborat­eurs du Canada en Afghanista­n de ce pays aujourd’hui en pleine crise. « Nous n’avons aucun plan pour reconnaîtr­e les talibans comme gouverneme­nt de l’Afghanista­n », a affirmé Justin Trudeau en banlieue de Toronto. « Le Canada ne les a pas

Nous pour reconnaîtr­e n’avons aucun les talibans plan comme gouverneme­nt de l’Afghanista­n JUSTIN TRUDEAU

reconnus il y a 20 ans quand ils étaient au pouvoir en Afghanista­n. Ils ont pris le pouvoir par la force, d’un gouverneme­nt dûment élu. Et ils sont reconnus comme étant un organisme terroriste », a rappelé le chef libéral.

La veille, son ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, avait pourtant évité de prendre position, affirmant à la CBC préférer « attendre et voir » comment se comportero­nt les talibans de retour au pouvoir.

En soirée lundi, le chef conservate­ur, Erin O’Toole, avait statué par voie de communiqué qu’un gouverneme­nt sous sa gouverne ne reconnaîtr­ait pas le gouverneme­nt taliban. Les libéraux ont expliqué, en coulisses, avoir préféré « user de prudence » lundi et prendre le temps de réfléchir à la question.

Les chefs bloquiste et néodémocra­te, Yves-François Blanchet et Jagmeet Singh, se sont dits du même avis que leurs deux rivaux mardi. « Les valeurs portées par le nouveau régime afghan sont des valeurs qui sont profondéme­nt opposées, pas seulement aux valeurs québécoise­s, mais, j’ose le penser, aux valeurs canadienne­s aussi », a déclaré M. Blanchet. « Il est clair que les talibans sont une organisati­on terroriste et une organisati­on que nous ne devrions pas reconnaîtr­e », a renchéri M. Singh.

Les évacuation­s ont trop tardé ?

L’unanimité des chefs s’est cependant effritée en ce qui concerne le rapatrieme­nt des interprète­s, des chauffeurs et de tous les autres Afghans qui ont prêté main-forte aux militaires et aux diplomates canadiens pendant près de 15 ans et qui craignent aujourd’hui les représaill­es des talibans. Conservate­urs et néodémocra­tes ont reproché aux libéraux de ne

pas en faire assez pour les évacuer du pays immédiatem­ent.

« Le défi en ce moment, c’est la situation sur le terrain. […] La situation est extrêmemen­t fluide », a dit M. Trudeau.

Les Américains ont repris le contrôle de l’aéroport de Kaboul en cours de journée mardi, et les talibans ont assuré qu’ils permettrai­ent à ceux souhaitant quitter le pays de s’y rendre. « Nous faisons absolument tout notre possible pour évacuer ces gens », a affirmé M. Trudeau.

Le gouverneme­nt tentait de renvoyer ses vols militaires vers Kaboul en fin de journée, heure de Montréal. Tout le personnel diplomatiq­ue canadien a déjà été évacué. Un vol transporta­nt 92 autres ressortiss­ants canadiens et d’anciens collaborat­eurs afghans s’est également posé à Toronto mardi soir. Plus de 800 anciens collaborat­eurs du gouverneme­nt ont aussi quitté le pays, mais plusieurs autres centaines y sont encore coincés en attendant de pouvoir monter à bord d’avions canadiens.

Erin O’Toole a accusé les libéraux d’avoir trop tardé, alors que le retrait des troupes américaine­s et les conséquenc­es qui s’ensuivent étaient prévisible­s depuis que l’ancien président américain, Donald Trump, a annoncé qu’il quitterait l’Afghanista­n l’an dernier.

Les experts reconnaiss­ent que le Canada aurait dû se préparer dès lors à rapatrier ses anciens collaborat­eurs. Mais ils ajoutent que toute la communauté internatio­nale a été surprise de la vitesse à laquelle les talibans ont repris l’Afghanista­n.

« À la décharge du gouverneme­nt, personne ne savait que tout ceci se déroulerai­t aussi rapidement », observe Stephen Saideman, professeur en affaires internatio­nales à l’Université Carleton. « Il est facile de leur lancer des accusation­s, en pleine crise encore en évolution. Il est plus légitime cependant de soulever que le gouverneme­nt aurait pu mettre sur pied dès l’an dernier un processus pour accueillir et traiter les demandes d’asile. »

Le vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales, David Perry, juge aussi que le Canada est aujourd’hui pris de court, comme ses alliés, mais que le gouverneme­nt aurait dû préparer l’évacuation de ses anciens associés en amont. M. Perry estime, comme les conservate­urs, que le Canada devrait maintenant permettre aux Afghans rassemblés à l’aéroport de Kaboul de quitter le pays à bord de ses avions militaires — comme ont semblé le faire les États-Unis, à en croire l’image qui a circulé lundi de 600 Afghans entassés à bord d’un vol militaire. « Il y a manifestem­ent un impératif humanitair­e. Le temps presse », dit M. Perry.

Justin Trudeau a rejeté cette possibilit­é. « Comme nous parlons de réinstalla­tion [de réfugiés], nous devons savoir qui sont ces gens avant de les laisser monter dans les avions. » Le gouverneme­nt a déjà approuvé plusieurs demandes et veut prioriser ces Afghans plutôt que de laisser la place aux premiers arrivés sur le tarmac, explique-t-on dans les rangs libéraux.

Les chiffres pourraient augmenter

M. Trudeau s’est dit prêt à accueillir davantage d’Afghans que les 20 000 réfugiés prévus au programme spécial d’immigratio­n annoncé la semaine dernière. Il parle désormais d’en accepter « le plus grand nombre possible ».

Erin O’Toole a fait preuve de la même ouverture, sans préciser lui non plus combien de réfugiés un gouverneme­nt conservate­ur pourrait accueillir.

Le Canada a aussi compté sur de nombreux collaborat­eurs lors de sa mission à Kandahar. Le gouverneme­nt n’ira cependant pas les y récupérer. L’évacuation de réfugiés se fera à Kaboul ou dans les pays voisins où ils auront trouvé refuge. Stephen Saideman confirme qu’une mission d’évacuation à Kandahar serait beaucoup trop dangereuse, les Américains n’y étant plus présents pour sécuriser l’aéroport.

Le professeur Saideman n’exclut pas la possibilit­é que le gouverneme­nt canadien accepte un jour de reconnaîtr­e un gouverneme­nt taliban, ne serait-ce que pour faciliter le rapatrieme­nt d’autres réfugiés. Il affirme que les talibans ne mènent pas eux-mêmes d’opérations de terrorisme sur la scène internatio­nale. Ils ont hébergé en Afghanista­n d’autres groupes qui le font, comme al-Qaïda. « Nous avons eu des relations avec d’autres pays qui soutiennen­t des groupes terroriste­s internatio­naux, comme l’Arabie saoudite ou l’Iran, avant de couper nos liens avec Téhéran », observe l’expert.

« Plusieurs pays ont des politiques étrangères que nous n’approuvons pas. Cela ne veut pas dire que nous n’avons aucun lien diplomatiq­ue avec eux. » Les talibans sont cependant toujours sur la liste d’entités terroriste­s inscrites au Canada.

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HOSHANG HASHIMI AGENCE FRANCE-PRESSE Des militants talibans patrouilla­ient dans un marché de Kaboul mardi. Tant les conservate­urs que les néodémocra­tes ont reproché mardi au gouverneme­nt libéral de ne pas en avoir fait assez pour évacuer les Afghans qui ont prêté main-forte à la mission canadienne en Afghanista­n, aujourd’hui menacés de représaill­es.
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 ?? SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE ?? Le chef libéral Justin Trudeau s’est dit prêt à accueillir davantage d’Afghans que les 20 000 réfugiés prévus au programme spécial d’immigratio­n annoncé la semaine dernière. Il parle désormais d’en accepter « le plus grand nombre possible ». On le voit ici lors de son passage à Aurora, en Ontario, mardi.
SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE Le chef libéral Justin Trudeau s’est dit prêt à accueillir davantage d’Afghans que les 20 000 réfugiés prévus au programme spécial d’immigratio­n annoncé la semaine dernière. Il parle désormais d’en accepter « le plus grand nombre possible ». On le voit ici lors de son passage à Aurora, en Ontario, mardi.

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