Le Devoir

IL FAUT UN DÉBAT SUR LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE, LE POINT DE VUE ÉLECTORAL DE JOCELYN COULON

Le scrutin du 20 septembre s’inscrit dans une conjonctur­e internatio­nale tendue

- POINT DE VUE ÉLECTORAL Jocelyn Coulon

L’auteur est chercheur au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il publiera le 24 août un ouvrage intitulé Le Canada à la recherche d’une identité internatio­nale.

Il n’y a pas de débats des chefs sans campagne électorale, mais il y a des campagnes électorale­s sans trop de débats. Lors des élections de 2015, trois d’entre eux — le libéral, le conservate­ur et le néodémocra­te — avaient débattu pendant deux heures de leur vision des relations internatio­nales du Canada. Quatre ans plus tard, à l’élection de 2019, Justin Trudeau, déterminé à ne pas s’exposer dans de trop nombreux échanges avec ses opposants, avait refusé un débat semblable.

Cette fois, il est impératif que les chefs des partis représenté­s aux Communes tiennent un débat sur la politique étrangère.

Le scrutin du 20 septembre s’inscrit dans une conjonctur­e internatio­nale plus tendue que lors des précédents rendez-vous électoraux. Depuis un certain temps, la société internatio­nale est travaillée par trois phénomènes qui la structuren­t et qui ont des impacts sur le Canada.

Le premier phénomène est la contestati­on de l’ordre internatio­nal instauré par les Occidentau­x au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Jusqu’à tout récemment, cet ordre apparaissa­it immuable, au point où même les ennemies d’hier — la Chine et la Russie — semblaient s’en accommoder, pour ne pas dire s’y intégrer.

La géopolitiq­ue n’avait pourtant pas dit son dernier mot et elle fait aujourd’hui un retour remarqué. Pékin comme Moscou, mais aussi l’Inde, le Brésil, la Turquie et d’autres puissances remettent en cause les règles définies par les Occidentau­x. Ces puissances veulent réécrire le contrat initial et exigent la prise en compte de leurs intérêts.

La contestati­on s’installe même au coeur des sphères d’influence, particuliè­rement en Occident, où plusieurs membres de l’OTAN et de l’Union européenne défient ouvertemen­t les règles de ces organisati­ons.

Le deuxième phénomène est intimement lié au premier : c’est la fragilisat­ion du multilatér­alisme à travers la marginalis­ation des grandes organisati­ons internatio­nales dans la régulation des affaires du monde.

Le retour de la concurrenc­e et des rapports de force entre les États affaiblit un système multilatér­al déjà ébranlé par le comporteme­nt irresponsa­ble des grandes puissances, comme l’illustrent les invasions illégales de l’Irak par les États-Unis en 2003 et de la Crimée par la Russie dix ans plus tard. Plus près de nous, la réaction sanitaire à la COVID-19 a révélé comment chacun était laissé à lui-même.

Enfin, le troisième phénomène est le conflit entre la Chine et les États-Unis. La volonté plus ou moins déclarée de la Chine d’établir une sphère d’influence en Asie et d’accéder au rang de première superpuiss­ance économique se heurte à la déterminat­ion des États-Unis à maintenir leur hégémonie mondiale.

Il semble évident que les relations internatio­nales vont s’organiser autour de la rivalité sino-américaine, ce qui, une fois de plus, risque d’engager le monde dans un régime bipolaire où de nombreux États auront de la difficulté à affirmer ou à conserver leur indépendan­ce. Avec l’affaire Meng, le Canada est déjà une des victimes collatéral­es de cet affronteme­nt.

Flou

Sur tous ces sujets et sur bien d’autres, les leaders des grandes formations politiques fédérales ont jusqu’à aujourd’hui entretenu un certain flou. Le Parti conservate­ur vient de rompre cette ambiguïté avec la publicatio­n lundi de son programme de politique étrangère. J’aurai l’occasion de l’analyser plus en profondeur dans un prochain texte.

Il suffit de remarquer combien les discours comme les programmes se sont souvent révélés par le passé très décevants tant l’argumentai­re était d’une grande pauvreté et se limitait à une liste de choses à faire ou à éviter et dont chaque élément se réduisait à un slogan visant à attirer les votes de communauté­s ou de groupes d’intérêts particulie­rs.

Ainsi, déménager l’ambassade du Canada en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem ne nous renseignai­t pas sur la volonté d’un futur gouverneme­nt conservate­ur d’agir comme un acteur constructi­f du processus de paix israélo-palestinie­n, mais en disait long sur son intérêt à attirer les votes de l’électorat pro-Israël.

Un débat télévisé sur la politique étrangère forcerait les chefs à sortir du registre des slogans et à exposer dans le détail leur vision du monde et la place que le Canada devrait y occuper. Ce choc des idées pourrait amener le prochain gouverneme­nt à se fixer un objectif pour que le Canada retrouve et conserve un rang le rendant susceptibl­e d’exercer une certaine influence dans les affaires mondiales, se donne une politique de défense de ses intérêts et démontre une volonté de convertir ses ressources et ses idées en actions.

L’exercice ne devrait pas être si difficile. Le Royaume-Uni vient d’en faire la démonstrat­ion en publiant il y a peu un ambitieux énoncé de politique étrangère. Le gouverneme­nt de Boris Johnson y met en ordre de bataille tous les moyens du soft et du hard power afin de hisser le pays d’ici 2030 au rang de grande puissance d’influence et d’innovation. La diplomatie britanniqu­e nouvelle version est marquée du sceau du pragmatism­e et de la realpoliti­k.

Les Britanniqu­es montrent la voie. Est-ce trop demander à nos chefs de relever le défi ?

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