LA VIE REPREND TIMIDEMENT À KABOUL
Les talibans tentent de se faire rassurants, mais l’inquiétude demeure vive dans la population
Des Afghans sont sortis travailler. Les magasins de la capitale ont rouvert leurs portes. Des femmes se sont même risquées à l’extérieur. La vie a timidement repris son cours mardi à Kaboul, sous l’oeil indéchiffrable des talibans. Mais sous cette apparente accalmie, nombreux sont les Afghans qui craignent que le nouveau régime n’attende que le retrait complet des forces étrangères pour satisfaire sa soif de vengeance.
« Les talibans ne font rien de mal maintenant parce qu’ils ont peur que les forces internationales reviennent. Ils attendent qu’elles partent pour de bon et ensuite ils vont rechercher ceux qui ont travaillé avec les Américains ou les autres pays occidentaux », dit Ahmad (nous taisons son nom de famille pour des raisons de sécurité), inquiet, qui vit à Kaboul. « Ils n’ont pas changé. »
Plus tôt dans la journée, le porte-parole des talibans avait adopté un ton rassurant. Lors de la première conférence de presse du régime islamiste depuis la chute de Kaboul, Zabihullah Mujahid avait déclaré que « le chef des talibans [avait] pardonné à tout le monde ».
En rentrant en Afghanistan mardi, un cofondateur des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, qui dirigeait depuis le Qatar le bureau politique du mouvement, avait également fait résonner le mot « pardon » dans les micros des journalistes internationaux. « Nous ne chercherons pas à nous venger. »
Pour les Afghans — dont le souvenir de l’ancien régime taliban est lié aux exécutions, aux lapidations et aux coups de fouet —, ce discours aux sonorités apaisantes est loin de rassurer. « C’est très difficile de leur faire confiance, mentionne Ehsan, qui vit également à Kaboul. Leur régime de terreur dans les années 1990 nous a tout pris. Nous n’avions plus de rêves, plus d’espoir. »
Comme bien d’autres, le jeune homme est aujourd’hui rongé par l’inquiétude. Le Kaboulien a travaillé en collaboration avec les Américains dans le cadre de l’International Police Coordination Board, mis en place en Afghanistan pour réformer les forces policières du pays. « Ce n’est pas juste moi, on a tous peur. »
Abandonnés
Toute la journée mardi, Ahmad a vu des étrangers attendre en vain un avion dans un camp situé à proximité de l’aéroport de Kaboul. « Depuis ce matin, plus de 300 personnes attendent ici. Certains sont couchés au sol, dans les rues. Ils sont épuisés. Ils n’ont pas de nourriture, rien. Il est rendu 22 h 39 et ils n’ont toujours pas réussi à partir. »
L’urgence de quitter le pays, le jeune homme, qui travaille lui aussi pour les forces étrangères, la ressent tout aussi ardemment. « J’ai demandé à mon superviseur américain de m’aider. Il m’a dit qu’il était désolé, mais qu’il ne pouvait rien faire pour moi », se désole-t-il.
« On a mis nos vies en danger pour travailler avec eux et les aider. Et maintenant, ils évacuent leurs soldats et leurs ressortissants et ils n’ont plus rien à faire de leurs alliés afghans. Ils pensent juste aux vies des Américains, mais nos vies aussi comptent », dit-il.
Lundi, des talibans sont entrés dans le camp où Ahmad travaille. « Ils ont dit qu’ils sont venus pour nous sécuriser. Mais il ne faut pas leur faire confiance. » Des négociations ont mené à leur retrait jusqu’à l’entrée du site. « On peut les voir d’ici. Ils sont partout autour de nous. » Les talibans ont dit à l’un de ses collègues qu’ils seraient de retour après le départ des convois étrangers pour « poser des questions » sur leur collaboration avec les Américains, rapporte Ahmad. « Bien sûr que j’ai peur. »
Selon des journalistes sur place, les talibans étaient également bien visibles mardi dans les rues de Kaboul. Même lorsqu’ils ne patrouillaient pas dans un secteur, leur empreinte était déjà bien incrustée dans le quotidien des gens.
Les hommes ont déjà troqué leurs vêtements occidentaux pour le shalwar kameez, l’ample habit traditionnel afghan. La télévision d’État diffuse désormais essentiellement des programmes islamiques. Et les écoles et universités de la capitale sont demeurées fermées.
Selon un journaliste de l’AFP, quelques femmes se sont rassemblées devant l’entrée de la « zone verte » pour demander le droit de retourner y travailler. Des talibans ont tenté en vain de les disperser avant qu’elles se laissent convaincre par des civils de partir. Pendant leur règne de 1996 à 2001, les talibans ont imposé une application rigoriste de la charia. Cinéma, télévision, ordinateurs, musique étaient bannis. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier. Elles devaient porter la burqa et ne pouvaient sortir qu’en présence de leur mari ou d’un frère. Selon le porte-parole des talibans, le régime s’engageait « à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l’islam ». Mais encore là, la confiance est difficile à gagner. « Toutes les femmes afghanes ont peur. Et toutes les femmes disent qu’elles n’ont plus d’avenir », souffle Ahmad.