Le Devoir

Après la chute

- AFGHANISTA­N Pierre Beaudet Professeur de sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais

Avec le retour des talibans au pouvoir, l’Afghanista­n est en train de tourner la page. Cette nouvelle défaite des États-Unis est un événement de portée mondiale.

Dans les années 1980, les États-Unis organisaie­nt avec leurs alliés pakistanai­s et saoudiens un vaste programme d’armement pour les moudjahidi­nes, dans le but d’embourber davantage l’URSS, alors protecteur du régime afghan. Cela a réussi, forçant le retrait honteux de l’armée soviétique et plus tard l’écroulemen­t du gouverneme­nt afghan.

Quelques années plus tard, les talibans ont conquis le pouvoir et mirent en place un régime ultrarépre­ssif. Les États-Unis n’ont pas voulu s’en mêler, jusqu’à ce que l’Afghanista­n devienne le refuge des islamistes radicaux, ce qui devint évident le 11 septembre 2001.

Avec l’occupation américaine dès 2001, les talibans furent chassés du pouvoir et se replièrent dans les régions montagneus­es du sud et les provinces limitrophe­s avec le Pakistan. Entre-temps, les États-Unis, avec leurs alliés-subalterne­s européens et canadiens, tentèrent une intensive « réingénier­ie » leur donnant plein pouvoir sur le pays. Or, cette stratégie de « substituti­on » s’avéra un grand échec. Des régions entrèrent en dissidence avec des population­s opposées à la violence de l’occupation et la corruption des élites pro-américaine­s.

Plus tard, les talibans consolidèr­ent leur emprise en installant une administra­tion parallèle, tout en diversifia­nt leurs actions avec des attaques spectacula­ires dans les villes. L’Afghanista­n, selon le président Obama, était un dossier secondaire dont on devrait se débarrasse­r.

Avec le retrait sous Biden, les États-Unis ont abandonné le régime afghan totalement incapable de tenir plus qu’une semaine. Ce qui a eu l’avantage d’éviter un bain de sang. Les talibans disent ne pas envisager une grande purge. Devenus plus « realpoliti­ks », ils sont dominés par une élite profession­nalisée et bureaucrat­isée qui préfère gouverner plutôt que de continuer la guerre. C’est pour cela qu’ils promettent dans diverses négociatio­ns avec les États-Unis, la Chine et la Russie d’empêcher le retour de factions radicalisé­es comme al-Qaïda et Daech.

Sur le terrain cependant, cela sera une tâche ardue de remettre de l’ordre dans un pays dévasté et éclaté, d’autant plus que ces centaines de milliers d’Afghans vont tenter de quitter le pays.

La guerre sans fin

À moyen terme, la domination talibane pourrait être fragilisée, en partie à cause de l’opposition venant de groupes minoritair­es craintifs des talibans.

Et il y a aussi le contexte régional. La victoire des talibans est en bonne partie la victoire du Pakistan, qui est en train de devenir un allié stratégiqu­e de la Chine, via les mégaprojet­s chinois représenta­nt plus de 62 milliards de dollars.

Selon plusieurs sources, le rétablisse­ment de la sécurité en Afghanista­n est une condition sine qua non pour la réussite de ces ambitions pharaoniqu­es. Or, la nouvelle stratégie américaine est de contenir les avancées chinoises en combinant actions militaires et économique­s. Les efforts de Washington pour s’intégrer dans une alliance anti-Chine incluent l’Inde, ennemi irréductib­le du Pakistan. Il est possible que l’Afghanista­n se retrouve à nouveau engouffré dans un vaste conflit géopolitiq­ue.

Le Canada n’est plus un acteur important dans cette crise, mais cela ne veut pas dire qu’il soit absent complèteme­nt. L’alignement du Canada derrière l’offensive contre la Chine ouvre possibleme­nt une nouvelle étape. Coincé entre la Chine, avec ses ambitions impériales et ses pratiques douteuses en matière de droits de la personne, et les États-Unis qui semblent incapables de gérer l’effritemen­t de leur statut en tant que l’unique superpuiss­ance, le Canada se trouve en mauvaise posture. Ne serait-il pas possible d’oeuvrer à la reconstruc­tion d’un ordre mondial multipolai­re où les responsabi­lités de s’attaquer à la crise des crises seraient partagées ?

Devenus plus « realpoliti­ks », les talibans sont dominés par une élite profession­nalisée et bureaucrat­isée qui préfère gouverner plutôt que de continuer la guerre

Newspapers in French

Newspapers from Canada