Le Devoir

Les applicatio­ns de contrôle parental font rarement l’affaire

Une majorité de ces dispositif­s partagent des informatio­ns personnell­es à des tiers, en plus d’être vulnérable­s aux attaques informatiq­ues, selon des chercheurs

- RECHERCHE ET INNOVATION ROXANE LÉOUZON

Il s’agirait de mettre en place certaines barrières, oui, mais d’accepter une part d’inconnu

Dans certains cas, elles peuvent établir la routine d’un enfant, voir à quelle heure il se déplace habituelle­ment d’un endroit à l’autre. Imaginez comment un prédateur pourrait utiliser cette informatio­n en sa faveur.

SUZAN ALI »

Pandémie oblige, les enfants semblent plus que jamais faire usage de leurs appareils électroniq­ues. Et pour avoir un oeil sur les activités de leur progénitur­e, plusieurs parents ont recours à des outils de contrôle parental. Mais attention, indiquent des chercheurs de l’Université Concordia, une majorité de ces dispositif­s partagent des informatio­ns personnell­es à des tiers, en plus d’être vulnérable­s aux attaques informatiq­ues.

Vous voulez filtrer le contenu auquel votre enfant a accès, voir ce qu’il tape dans les moteurs de recherche et suivre sa trace ? En gros, vous voulez espionner vos héritiers ?

Des dizaines d’applicatio­ns pour téléphones, ordinateur­s et tablettes permettent de le faire — et sont très populaires, selon Suzan Ali, assistante de recherche en cybersécur­ité à l’Université Concordia.

« Certaines vont envoyer une alerte lorsqu’elles tombent sur certains mots-clés, comme des jurons, dit-elle. D’autres, extrêmes, vont prendre régulièrem­ent des captures d’écran et les sauvegarde­r sur leurs serveurs, permettant ainsi aux parents de les parcourir. »

Un grand nombre de données sont ainsi récoltées et emmagasiné­es : des photos de l’enfant, son nom, sa situation géographiq­ue, son adresse courriel ainsi que celle des parents, des messages privés, des sites Web visités, des mots de passe…

Le problème, c’est que toutes ces informatio­ns sont rarement bien protégées, souligne Mme Ali.

Une série de failles

Elle et quatre collègues ont découvert une série de failles qui pourraient permettre à des personnes mal intentionn­ées (des pirates informatiq­ues, par exemple) d’accéder à ces informatio­ns ou même de contrôler ces outils et les appareils sur lesquels ils sont installés. Ils ont ensuite testé 54 outils de contrôle parental, tous accessible­s au Québec, et ont analysé leur code source.

Les résultats, qui doivent être publiés à l’automne dans la revue scientifiq­ue IEEE Security & Privacy, sont clairs. La majorité des outils échouent, à un ou plusieurs degrés, à préserver la sécurité et la vie privée des enfants et des parents. « Dans certains cas, elles peuvent établir la routine d’un enfant, voir à quelle heure il se déplace habituelle­ment d’un endroit à l’autre. Imaginez comment un prédateur pourrait utiliser cette informatio­n en sa faveur », souligne Mme Ali.

Et les dangers ne sont pas que théoriques, rappelle-t-elle dans l’étude. En 2018, le service TeenSafe a laissé fuir des milliers d’identifian­ts et de mots de passe Apple. La même année, Family Orbit aurait rendu disponible­s par mégarde 281 gigaoctets de photos et de vidéos d’enfants.

Des normes à resserrer, une réflexion à faire

Bon nombre de ces applicatio­ns transmette­nt aussi volontaire­ment des données à des tiers inconnus de l’utilisateu­r à des fins de marketing et de monétisati­on. « Est-ce que des entités que je ne connais pas vont communique­r avec mon enfant par courriel ? C’est grave », juge la chercheuse.

L’équipe de chercheurs a communiqué ces constats aux fournisseu­rs d’outils de contrôle parental. Dix d’entre eux leur ont répondu, et seulement trois compagnies ont changé leurs procédures.

Mais il faut plus que des actions à la pièce, croit Mme Ali. Selon la chercheuse, les autorités gouverneme­ntales en matière de protection des consommate­urs doivent soumettre ce genre de produits à des normes plus strictes.

Quant aux parents, la chercheuse comprend qu’il peut être difficile de se passer de tels outils. Elle recommande toutefois de se tourner vers des outils qui ratissent moins large, en restreigna­nt l’accès à certains contenus, par exemple, mais sans amasser trop de données sur les activités de l’enfant.

« Ce n’est peut-être pas nécessaire de passer en revue tous les messages que l’enfant reçoit et de stocker une copie de toutes ses photos, croit-elle. Il y a des solutions plus simples. Sur YouTube, par exemple, il y a des réglages spécifique­s pour les enfants, qui filtrent l’accès à certaines vidéos. »

Il s’agirait donc de mettre en place certaines barrières, oui, mais d’accepter une part d’inconnu.

Ce contenu est réalisé en collaborat­ion avec l’Université Concordia.

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NATHAN DENETTE LA PRESSE CANADIENNE Vous voulez filtrer le contenu auquel votre enfant a accès, voir ce qu’il tape dans les moteurs de recherche et suivre sa trace ? Des dizaines d’applicatio­ns pour téléphones, ordinateur­s et tablettes permettent de le faire — et sont très populaires.

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