Le Devoir

Pascale Nadeau évoque une « dérive disciplina­ire » à Radio-Canada

La société d’État laisse entendre que la journalist­e n’accepte pas les conclusion­s d’une enquête externe qui pointait un « comporteme­nt inappropri­é »

- MÉDIAS AMÉLI PINEDA Avec Stéphane Baillargeo­n

Accusée d’avoir menti sur les raisons du départ de l’ex-cheffe d’antenne Pascale Nadeau, Radio-Canada s’est défendue mercredi de l’avoir poussée vers la sortie. La société d’État laisse entendre que la journalist­e n’accepte pas les conclusion­s d’une enquête externe qui pointait un « comporteme­nt inappropri­é ».

« En général, [une enquête], c’est un wake-up call pour se dire : “Il faut peut-être que je corrige certains comporteme­nts” », a mentionné la directrice générale de l’informatio­n du diffuseur public, Luce Julien, lors d’une mise au point avec les journalist­es. « Il n’y a pas eu de congédieme­nt, encore moins de congédieme­nt déguisé ou d’âgisme », a-t-elle affirmé.

Le 5 août dernier, Radio-Canada avait annoncé le départ de Mme Nadeau en affirmant qu’elle avait « récemment informé la direction de l’informatio­n de son intention de prendre sa retraite cet automne ».

La journalist­e a brisé le silence dans une lettre ouverte publiée mercredi dans Le Soleil, où elle affirme avoir plutôt été la cible d’une « dérive disciplina­ire » à la suite d’une plainte « anonyme ». « Je ne pensais pas mettre fin à ma carrière si vite, j’avais encore de belles années à offrir et je ne croyais surtout pas la terminer de cette façon, par la porte d’en arrière », a écrit Mme Nadeau.

L’incident déclencheu­r de cette « affaire » reste assez obscur ; le dossier de la plainte en question demeure confidenti­el. Peu d’employés de la société d’État ont d’ailleurs accepté de parler de la controvers­e au Devoir — et aucun en se laissant nommer publiqueme­nt.

Mme Nadeau a évoqué dans une entrevue avec Le Soleil qu’un commentair­e sur le travail d’un employé du service de l’informatio­n serait à la source de la plainte. « C’était un mot que j’avais dit en 2019 par rapport à un texte, un ramassis de phrases, de remarques prises hors contexte, d’allégation­s qui relevaient carrément de l’anecdote », a-t-elle expliqué au quotidien de Québec. L’ex-cheffe d’antenne a décliné la demande d’entrevue du Devoir.

Le point de vue de Pascale Nadeau

Dans sa missive publiée mercredi, Mme Nadeau a expliqué vouloir « dire la vérité » au public. Elle qualifie la plainte « anonyme » de « ramassis d’allégation­s mensongère­s ou citées totalement hors contexte ».

« Je ne suis pas parfaite. J’ai du caractère et il peut m’arriver d’avoir des moments d’impatience », admet-elle, soulignant par ailleurs que les agissement­s qui lui ont été reprochés ne constituen­t pas du harcèlemen­t ou du dénigremen­t, mais plutôt des « remarques faites dans le cadre de mon travail et de mes fonctions ».

Mme Julien estime que l’ex-cheffe d’antenne donne « sa version des faits », mais ajoute qu’en tant que journalist­e, elle est bien au fait qu’une dénonciati­on « anonyme » ne veut pas dire qu’on ignore l’identité de la personne qui l’a déposée, mais plutôt qu’on lui assure la confidenti­alité.

La décision de la sanctionne­r un mois sans salaire n’a pas été facile, reconnaît Mme Julien, qui confirme avoir dit à la journalist­e de « ne pas avoir le choix » de le faire. « Le processus d’enquête a été rigoureux. […] Il y a eu des conclusion­s, des employés rencontrés, par respect pour le processus, j’aurais manqué à mon devoir de gestionnai­re si j’avais fermé les yeux sur le rapport », dit-elle.

Mme Julien a refusé de préciser la nature des allégation­s qui sont reprochées à Mme Nadeau et s’est limitée à dire qu’il s’agit d’un « comporteme­nt inappropri­é ». « En 2021, il y a des comporteme­nts qui étaient acceptés à une autre époque qui ne le sont plus », a-t-elle ajouté.

Le Syndicat des travailleu­ses et travailleu­rs de Radio-Canada a confirmé qu’un grief a été déposé concernant la sanction imposée à Mme Nadeau. « Ce que l’employeur allègue pour justifier la sanction ne tient pas la route, c’est exagéré pour quelqu’un qui n’avait aucune tache à son dossier », mentionne le président du syndicat, Pierre Tousignant. Selon ses informatio­ns, Mme Nadeau n’a jamais été avisée de ce qu’elle a pu faire d’offensant ou blessant.

La directrice générale de l’informatio­n a également précisé qu’à la suite de sa suspension, Mme Nadeau a annoncé à la direction qu’elle s’absentait pour un congé de maladie. Cet été, elle leur a demandé des excuses, ce que

Je ne pensais pas mettre fin à ma carrière si vite, j’avais encore de belles années à offrir et je ne croyais surtout pas la terminer

»

de cette façon, par la porte d’en arrière

PASCALE NADEAU

En général, [une enquête], c’est un wake-up call

pour se dire : “Il faut peutêtre

» que je corrige certains comporteme­nts”

LUCE JULIEN

Radio-Canada a refusé. « Elle nous a ensuite indiqué avoir l’intention de prendre sa retraite », a noté Mme Julien.

Conflit intergénér­ationnel ?

Deux journalist­es expériment­és de la salle des nouvelles de Radio-Canada affirment que cette controvers­e découle d’un conflit intergénér­ationnel.

Mme Nadeau était cheffe d’antenne du Téléjourna­l du week-end. Or, pendant la fin de semaine, la salle emploie surtout des surnumérai­res, des journalist­es, des rédacteurs et des technicien­s moins expériment­és, souvent plus jeunes. Elle évoque d’ailleurs dans sa lettre que « travailler avec la relève est stimulant, mais […] comporte aussi ses défis ».

« Ma génération a encore des comporteme­nts épouvantab­les et inacceptab­les », affirme l’un des reporters d’expérience qui a accepté de parler au Devoir. « Maintenant, on tord le bâton dans l’autre sens : une partie de la nouvelle génération casse au moindre reproche. Il me semble qu’il faudrait trouver un juste milieu. »

Deux cultures du travail se seraient donc affrontées. D’un côté, il y aurait donc Pascale Nadeau, franche, expériment­ée, exigeante, voire perfection­niste, qui aurait critiqué comme à son habitude le travail jugé bâclé d’un collègue ; et de l’autre, il y aurait donc ce jeune employé blessé par le poids du jugement critique de Mme Nadeau, dont la carrière s’étale sur quatre décennies.

« Le centre de l’informatio­n de Radio-Canada, c’est comme un hôpital. Il y a des gens qui travaillen­t de soir, de nuit, de fin de semaine. Et comme partout, oui, il y a un clash génération­nel. Mais, encore une fois, Radio-Canada fait partie d’une société qui évolue », a fait valoir Mme Julien.

 ?? RADIO-CANADA ?? L’ex-cheffe d’antenne Pascale Nadeau a brisé le silence dans une lettre ouverte publiée mercredi dans Le Soleil, où elle affirme avoir été la cible d’une « dérive disciplina­ire » à la suite d’une plainte « anonyme ».
RADIO-CANADA L’ex-cheffe d’antenne Pascale Nadeau a brisé le silence dans une lettre ouverte publiée mercredi dans Le Soleil, où elle affirme avoir été la cible d’une « dérive disciplina­ire » à la suite d’une plainte « anonyme ».

Newspapers in French

Newspapers from Canada