Le Devoir

La colère des vaccinés, la chronique de Michel David

- MICHEL DAVID

Après tout ce qu’on a dit des problèmes de communicat­ion du Dr Horacio Arruda, il était savoureux de voir le premier ministre Legault et le ministre de la Santé, Christian Dubé, le laisser répondre sans intervenir, mardi, quand une journalist­e a demandé si les travailleu­rs de la santé qui refuseront de se faire vacciner seront passibles de sanctions pouvant aller jusqu’au congédieme­nt.

« On peut savoir que, tout dépendamme­nt, là, des lois et des… Il peut y avoir ce qu’on appelle des pénalités administra­tives ou des enjeux. Ça peut varier, à notre avis, là. Là, je ne parle pas nécessaire­ment de congédieme­nt, mais de mesures administra­tives qui peuvent être appliquées dans des situations où l’employé refuse », a laborieuse­ment expliqué le Dr Arruda.

Le sort réservé à ces employés ne concerne en rien le directeur national de santé publique, dont le rôle ne consiste pas à gérer le réseau de la santé. Pourtant, ni M. Legault ni M. Dubé n’ont jugé bon d’intervenir. Cette fois, ils semblaient tout disposés à le laisser se débrouille­r avec la patate chaude.

Il est vrai que la question est délicate. Même si on peut l’interpréte­r de différente­s façons, le droit au travail, qui est lié au droit à la subsistanc­e, a été reconnu dans la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme en 1948, après avoir fait l’objet d’une encyclique papale sept ans plus tôt. Plusieurs articles de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec y font référence d’une manière ou d’une autre.

On pourrait d’ailleurs se demander dans quelle mesure le gouverneme­nt Legault n’a pas violé son corollaire, qu’on pourrait appeler le « droit au repos », quand il a interdit aux travailleu­rs de la santé exténués de prendre des vacances au plus fort de la pandémie.

Déterminer si exiger la vaccinatio­n obligatoir­e constitue une entrave inacceptab­le au droit au travail constitue sans doute un débat passionnan­t. Dans l’immédiat, la question est toutefois de savoir dans quelle mesure le réseau de la santé, qui souffre déjà d’une grave pénurie de maind’oeuvre, peut se passer de ceux qui persistera­ient dans leur refus et qui demeurent nombreux dans les résidences pour personnes âgées (RPA) et dans ce qu’on appelle les ressources intermédia­ires (RI). Tout cela ne manquera pas de faire l’objet de vives discussion­s la semaine prochaine en commission parlementa­ire.

Il y a une autre réalité qu’il faudra aussi prendre en compte : l’exaspérati­on grandissan­te que provoque le refus de la vaccinatio­n — sans parler du passeport vaccinal — chez tous ceux qui ont compris à quel point elle constitue à la fois une nécessité sanitaire et une obligation morale dans une société où les contacts sont aussi fréquents qu’inévitable­s.

Il y avait quelque chose de déprimant à voir réapparaît­re le trio Legault-Dubé-Arruda alors qu’on croyait être enfin sorti du tunnel. La très grande majorité des Québécois ont fait leur devoir au cours des derniers mois. L’objectif de vaccinatio­n fixé au printemps a été atteint, et voilà que cela ne suffit plus.

Tout le monde comprend que le variant Delta est plus contagieux et plus virulent. Raison de plus pour s’impatiente­r face à l’obstinatio­n de ceux qui alimentent la contagion. Malgré l’agacement qu’ils peuvent susciter, les complotist­es en tous genres ont bénéficié jusqu’à présent d’une certaine tolérance, dans la mesure où il semblait acquis qu’un taux de vaccinatio­n de l’ordre de 75 % assurerait une immunité collective qui viendrait à bout du virus malgré leur irresponsa­bilité. Il y a cependant des limites à se laisser empoisonne­r l’existence par une petite minorité de « taouins ».

Le port obligatoir­e du masque au cégep et à l’université, qui pourrait bien être étendu au primaire et au secondaire, constitue sans doute un moindre mal. Mais rien n’assure que de nouvelles restrictio­ns ne deviendron­t pas nécessaire­s, y compris la vaccinatio­n obligatoir­e des enseignant­s.

Chaque chose en son temps, direz-vous. Justin Trudeau a peut-être mis la charrue avant les boeufs en prévoyant, s’il est réélu, la vaccinatio­n obligatoir­e de tous les fonctionna­ires fédéraux, qu’ils soient en contact avec le public ou non. Lui non plus n’a pas voulu préciser les « conséquenc­es » que devront subir les récalcitra­nts, mais plus leur entêtement retardera le retour à la vie normale, que ce soit au travail, à l’école ou dans les loisirs, moins ils pourront compter sur la sympathie de ceux qui, eux, ont accepté de se faire vacciner.

Vivre en démocratie ne signifie pas que chacun peut faire ce qui lui plaît sans égard au bien-être et à la sécurité des autres. Provoquer inutilemen­t la colère de la majorité est même ce qui peut mettre la liberté le plus à risque.

Tout le monde comprend que le variant Delta est plus contagieux et plus virulent. Raison de plus pour s’impatiente­r face à l’obstinatio­n de ceux qui alimentent la contagion.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada