Le Devoir

O’Toole courtise le Québec

Après le « fédéralism­e d’ouverture » de Harper, le chef conservate­ur en promet un « de partenaria­t », avec un plus grand partage des pouvoirs

- MYLÈNE CRÊTE À QUÉBEC

Le chef du Parti conservate­ur du Canada, Erin O’Toole, a tendu la main aux Québécois mercredi lors de son passage dans la Vieille Capitale. Son parti espère ravir les circonscri­ptions perdues en 2019 aux mains du Bloc québécois.

« Par le passé, je sais que vous avez hésité à nous faire confiance », a-t-il reconnu, avant d’aborder deux questions qui avaient nui à son prédécesse­ur, Andrew Scheer, il y a deux ans. « Je suis pro-choix et j’ai toujours été pro-choix, a-t-il martelé.

Je crois aussi aux changement­s climatique­s. J’ai un plan réaliste et audacieux pour m’y attaquer. »

Erin O’Toole propose un « contrat » aux Québécois, qui s’appuierait sur ce qu’il appelle « un fédéralism­e de partenaria­t », après le « fédéralism­e d’ouverture » de Stephen Harper. Le gouverneme­nt de l’ex-premier ministre conservate­ur avait reconnu la nation québécoise « au sein d’un Canada uni » en 2006, en adoptant une motion à la Chambre des communes. Un geste symbolique.

« Le temps est venu, une fois pour toutes, de donner au Québec plus de

pouvoirs en culture, en immigratio­n et plus de respect », a affirmé Erin O’Toole. Il a par la suite repris des engagement­s qu’il avait pris lors de la course à la direction de son parti. Outre de donner plus de pouvoirs en matière d’immigratio­n, le chef conservate­ur promet d’appliquer la loi 101 aux entreprise­s à charte fédérale, comme les banques et les compagnies aériennes, de mettre sur pied une déclaratio­n de revenus unique et d’augmenter des transferts en santé « prévisible­s, stables et sans condition ».

Son discours n’était pas sans rappeler celui livré par Stephen Harper à Québec le 19 décembre 2005, en pleine campagne électorale. À l’issue du scrutin, il avait battu le premier ministre libéral Paul Martin en faisant élire un gouverneme­nt minoritair­e qui comptait dix députés du Québec.

« C’est un appel très sérieux au Québec, a fait remarquer le professeur de science politique Frédéric Boily, du campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. On voit que les conservate­urs

Les conservate­urs, en temps d’élections, tentent toujours de séduire les nationalis­tes » québécois YVES PERRON

sous Erin O’Toole font un pas, voire deux pas supplément­aires pour essayer de courtiser le Québec. »

M. O’Toole n’a toutefois pas répété certaines des promesses faites à l’époque par Stephen Harper qui n’ont jamais été respectées : l’élaboratio­n d’une charte du fédéralism­e pour encadrer le pouvoir de dépenser du gouverneme­nt fédéral et l’intégratio­n du Québec dans la Constituti­on lorsque les conditions le permettrai­ent.

Un pari à prendre

Deux autres dossiers étaient absents du discours du chef conservate­ur : le troisième lien, cher à une partie de l’électorat de la région de Québec, dont son parti a promis, mardi, de payer 40 % des coûts, et sa promesse de crédit d’impôt pour les garderies. Erin O’Toole a promis un crédit d’impôt aux parents, lequel remplacera­it le programme national de garderie des libéraux de Justin Trudeau.

« On marche sur des oeufs du côté conservate­ur parce qu’on s’aperçoit que les libéraux ont fait une propositio­n qui a été acceptée déjà par huit gouverneme­nts provinciau­x et territoria­ux », a souligné M. Boily en entrevue. Au Québec, cette entente est accompagné­e d’une enveloppe de 6 milliards de dollars que le gouverneme­nt Legault entend utiliser pour créer de nouvelles places en garderie et bonifier le salaire des éducatrice­s. « Avec notre plan, on va aider toutes les familles directemen­t et immédiatem­ent, avait répété M. O’Toole plus tôt dans la journée, sans préciser ce qu’il adviendrai­t des milliards que le Québec recevrait avec la réélection d’un gouverneme­nt libéral.

Erin O’Toole faisait déjà face à une base militante divisée avant le déclenchem­ent de la campagne électorale. Il prend donc un risque en se disant favorable à l’avortement et à des mesures pour lutter contre les changement­s climatique­s, mais il s’agit d’un risque calculé, selon Frédéric Boily. « Oui, c’est un risque pour Erin O’Toole, mais ce serait encore beaucoup plus risqué de sembler revenir à des positions antérieure­s et d’essayer de louvoyer sur ces deux questions-là de conservati­sme social et d’environnem­ent », a-t-il expliqué.

D’autant plus que le chef conservate­ur avait déjà fait son lit. « Il est dans l’obligation lui-même, selon sa propre logique, de s’affirmer sur ces questions et de tester les eaux par la suite pour voir ce que l’électorat en pense, quitte à perdre des voix dans l’Ouest, a ajouté le professeur. Il peut se permettre d’en perdre quelques-unes, si elles sont compensées par des voix au Québec et en Ontario. Je pense que c’est un pari qu’il doit prendre parce que, sinon, c’est répéter l’expérience Andrew Scheer et cette expérience montre que ce n’est pas possible alors de prendre le pouvoir. » Québécois avec une équipe de candidats qui s’opposent au droit des femmes à l’avortement, qui ne croient pas aux changement­s climatique­s et qui veulent faciliter l’achat d’armes à feu ? » a demandé mercredi soir l’équipe de campagne du Parti libéral par courriel.

Le Bloc québécois a quant à lui répondu au discours d’Erin O’Toole en mettant les Québécois en garde contre les promesses conservatr­ices. « Les conservate­urs, en temps d’élections, tentent toujours de séduire les nationalis­tes québécois, mais dès qu’ils retournent à la Chambre des communes, ils s’opposent à tout ce qui permettrai­t de renforcer le Québec, [y compris la déclaratio­n de revenus] unique, l’aide médicale à mourir ou le droit du Québec de choisir lui-même son propre modèle d’intégratio­n », a rappelé le député et président de la campagne électorale du parti, Yves Perron.

Le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD) n’a pas manqué de souligner les coupes du gouverneme­nt Harper lors de son mandat majoritair­e, dans lequel Erin O’Toole était ministre des Anciens Combattant­s. « Je me demande où était ce contrat avec les Québécois et Québécoise­s lorsqu’il était ministre sous Stephen Harper, a demandé le député et chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice. On le sait : avec les conservate­urs, ils promettent des choses en campagne et ensuite ils coupent dans les services publics. »

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