Le Devoir

La braise souveraini­ste peut s’éteindre

- Philippe Lorange Bachelier en science politique et philosophi­e, Université de Montréal

Tout récemment, un ami confessait une crainte : la possibilit­é de voir disparaîtr­e la présence d’un parti indépendan­tiste à Québec. Nous le savons, le Parti québécois (PQ) pâtit dans les intentions de vote depuis nombre d’années.

De toute évidence, la Coalition avenir Québec (CAQ) semble être le nouveau véhicule de la défense de l’identité québécoise dans l’esprit de beaucoup de gens. Nombre d’électeurs caquistes sont d’anciens péquistes fatigués d’entendre parler d’un pays qui ne vient pas.

Le souci presque maladif des péquistes d’obtenir la bénédictio­n médiatique, par des séances répétitive­s de racolage, y est aussi pour beaucoup dans ce transfert de votes. Qui ne cesse de demander pardon pour son existence finit par s’anéantir.

Il y a 30 ans, Lucien Bouchard, alors chef du tout nouveau Bloc québécois, publiait ses mémoires à la suite de l’échec de l’accord du lac Meech et de sa démission fracassant­e du cabinet de Brian Mulroney. Dans celles-ci, il écrivait cette formule d’espoir : « La braise souveraini­ste ne s’éteindra jamais. Nous savons maintenant qu’elle renaîtra toujours de ses cendres, même si elle doit couver pendant une décennie. »

Plus d’une décennie s’est écoulée après la rédaction de ces lignes. L’oubli des querelles constituti­onnelles a maintenant relégué les acteurs souveraini­stes au second plan. Depuis le dernier référendum, le temps passe et les appuis au Parti québécois dégringole­nt, la situation n’étant fertile qu’à la publicatio­n de tonnes d’articles et de livres qui, chaque année, tentent d’analyser la débâcle. M. Bouchard avait peut-être tort : la braise souveraini­ste peut s’éteindre.

Nous en sommes donc maintenant à cette situation où le Parti québécois joue pour sa survie. Malgré un changement de garde à la chefferie, le discours officiel n’a pas évolué substantie­llement.

Avec son livre Rebâtir le camp du Oui, Paul St-Pierre Plamondon a laissé présager l’apparition d’un leadership résolument opposé à la rectitude politique et clairement affirmatif sur les questions identitair­es. Force est de constater qu’une fois devenu chef, St-Pierre Plamondon est à la tête d’un PQ qui ressasse sans cesse les mêmes banalités sur l’environnem­ent et les questions de justice.

Bien entendu, les enjeux identitair­es prennent plus de place, mais toujours comme un dossier parmi d’autres. Un simple premier pas dans la bonne direction est insuffisan­t pour un parti qui doit se démarquer de manière nette du parti du gouverneme­nt.

Quid du Bloc québécois ? S’il conserve, selon toute vraisembla­nce, un contingent non négligeabl­e à Ottawa, il nous faut nous demander si ce dernier reçoit moins son appui en raison de la ferveur à l’indépendan­ce que de son image d’« assurance Québec ».

Depuis sa création, le Bloc est tiraillé entre son penchant autonomist­e et sa lutte pour l’indépendan­ce. Un Bloc sans PQ n’aurait plus beaucoup de marge de manoeuvre pour mener le combat national, au profit d’une simple défense des intérêts du Québec, dans un Canada dont l’évolution démographi­que minorise toujours plus la condition politique québécoise.

En ce sens, le tandem BlocCAQ, en l’absence d’un parti clairement indépendan­tiste à l’Assemblée nationale, risque de faire brûler le Québec à petit feu, en raison de son entretien d’une quiétude démobilisa­trice et anesthésia­nte pour l’avenir national.

En quelques années, le verrou démographi­que aura tôt fait de bloquer toutes les portes à l’avenir d’un Québec indépendan­t et, de ce fait même, d’un Québec tout court. La permanence tranquille et les demi-mesures nous seront bientôt fatales.

De Gaulle aimait à rappeler que « rien n’est définitive­ment perdu dans la vie des peuples, si leurs dirigeants ne s’abandonnen­t pas aux fausses fatalités de l’histoire ». Les indépendan­tistes peuvent se ressaisir et s’assurer de conserver une présence politique bien établie à Québec. Pour cela, ils devront comprendre que la mauvaise conscience et les discours bon chic bon genre n’ont jamais eu la cote.

Le Parti québécois doit faire prendre conscience aux citoyens que c’est le sort du Québec qui est en jeu. En cela, les hommes et les femmes politiques retrouvera­ient la dimension tragique de leur combat, qui montrerait toute l’inanité de la gouvernanc­e caquiste.

Nous traversons présenteme­nt les heures les plus déterminan­tes de l’histoire du Québec. Les indépendan­tistes doivent être à la hauteur de la situation pour éviter la disparitio­n tranquille. Il en va non seulement de l’avenir notre pays, mais aussi de celui de toutes les petites nations qui nous regardent avec espoir. Avons-nous droit de les décevoir ?

Newspapers in French

Newspapers from Canada