Le Devoir

Haïti, la perle ternie par les catastroph­es naturelles

Le pays se retrouve dans un perpétuel cycle de recommence­ments en tombant au plus bas chaque fois

- Thomas Lalime Doctorat en économie

Pourquoi Haïti est-elle devenue si pauvre ? C’est l’une des questions que l’on pose très souvent dans les débats sur le niveau de pauvreté dans lequel patauge la partie occidental­e de l’île, considérée comme l’une des principale­s attraction­s touristiqu­es de la Caraïbe jusque dans les années 1970.

La question est d’autant plus importante que l’île était considérée comme la Perle des Antilles par les colons français, tellement cette ancienne colonie était riche. D’abord en ressources naturelles, l’or en particulie­r. Ensuite par sa productivi­té agricole qui lui permettait d’être considérée comme une grande pourvoyeus­e de matière première.

La littératur­e sur l’économie du développem­ent retient de nombreux éléments de réponse à cette épineuse question. Les économiste­s américains Daron Acemoglu et James Robinson ont surtout mis l’accent sur l’héritage colonial à travers des institutio­ns extractive­s au profit d’un petit groupe et au détriment de la grande majorité de la population haïtienne, des descendant­s d’esclaves venus d’Afrique.

Ces institutio­ns extractive­s et non inclusives ont conduit à la mise en oeuvre de décisions politiques inefficace­s et à l’absence de politiques publiques cohérentes et efficaces. Elles facilitent aussi la corruption, la mauvaise gouvernanc­e et l’instabilit­é politique qui ont contribué à l’appauvriss­ement de la grande majorité de la population.

De lourdes pertes

Toutefois, les tremblemen­ts de terre du 12 janvier 2010 et du 14 août 2021 ont mis en lumière un autre facteur primordial que constituen­t les catastroph­es naturelles. En six ans, entre 2010 et 2016, les pertes liées aux catastroph­es naturelles s’élevaient à près de 10 milliards de dollars américains, soit 154 % du produit intérieur brut (PIB) nominal du pays pour l’année financière 20192020, estimé à 625,6 milliards de gourdes (6,5 milliards $US).

À lui seul, le séisme meurtrier du 12 janvier 2010 avait emporté près de 250 000 personnes, dont des intellectu­els de grand calibre qui prendront du temps à être valablemen­t remplacés. Les pertes et dommages matériels s’estimaient en 2010 à 7,8 milliards de dollars américains, soit 117 % du PIB d’alors. C’était surtout le départemen­t de l’Ouest, en particulie­r la capitale haïtienne (Portau-Prince), qui était le plus touché.

Six ans plus tard, en 2016, l’ouragan Matthew avait fait ses propres ravages dans le Grand Sud, composé des départemen­ts du Sud-Est, du Sud, Des Nippes et de Grand’Anse. Les pertes et dommages matériels s’estimaient à environ 2 milliards de dollars américains.

Le séisme du 14 août 2021 vient gravement détériorer le niveau de vie des habitants du Grand Sud, qui étaient encore en train de se relever des conséquenc­es fâcheuses de l’ouragan Matthew en 2016. Tandis qu’à Port-auPrince, les séquelles du tremblemen­t de terre du 12 janvier 2010 sont encore visibles, particuliè­rement à Canaan, cette zone qui avait accueilli les sinistrés du séisme et qui s’est vite transformé­e de façon permanente en un vaste bidonville.

Le passage de l’ouragan Jeanne en 2004 avait occasionné des pertes et dommages matériels évalués à 476,8 millions de dollars américains, soit 7 % du produit intérieur brut (PIB) de l’époque. Quatre ans plus tard, en 2008, Haïti avait subi les méfaits de quatre cyclones majeurs : Faye, Gustave, Hanna et Ike. Les dommages et les pertes s’élevaient à 1,1 milliard de dollars américains, soit 14,6 % du PIB.

Le cyclone Hazel avait entièremen­t détruit la ville de Jérémie en octobre 1954. Soixante-deux ans plus tard, en 2016, elle a connu le même sort avec Matthew. Alors qu’en 2021, c’est encore pire avec le récent séisme. Et pour ne rien arranger, la dépression tropicale Grâce est en train de s’abattre sur Haïti et les zones sévèrement affectées par le séisme du 14 août 2021.

Le 7 mai 1842, le Grand Nord, particuliè­rement la ville de Cap-Haïtien, avait subi un tremblemen­t de terre d’une magnitude de 8,1 sur l’échelle de Richter. Les historiens rapportent que la moitié des 10 000 habitants de Cap-Haïtien avaient été tués et que 300 autres avaient péri dans un tsunami qui avait suivi le séisme.

Une trappe

Cette litanie de désastres naturels a conduit à deux principaux résultats en matière de développem­ent économique. Premièreme­nt, elle a appauvri davantage les Haïtiens qui vivaient déjà dans la précarité. Deuxièmeme­nt, elle a maintenu le pays dans une trappe de sous-développem­ent qui s’autoentret­ient et empêche le pays de décoller véritablem­ent. Cette trappe a plombé son développem­ent de façon permanente. Autrement dit, le pays se retrouve dans un perpétuel cycle de recommence­ments en tombant au plus bas chaque fois.

Selon le Germanwatc­h Global Climate Risk Index, Haïti était classée au troisième rang des pays du monde les plus affectés par des événements climatique­s entre 1995 et 2014. De toute évidence, il y a une corrélatio­n étroite entre pays le plus pauvre et pays le plus affecté par les catastroph­es naturelles.

En six ans, entre 2010 et 2016, les pertes liées aux catastroph­es naturelles s’élevaient à près de 10 milliards de dollars américains, soit 154 % du produit intérieur brut nominal du pays pour l’année financière 2019-2020

Newspapers in French

Newspapers from Canada