Démarche de réconciliation dans la peur
Devant le discours de pardon des talibans et leur dialogue avec d’anciens dirigeants, l’Occident réitère ses « inquiétudes profondes »
Des responsables talibans ont rencontré l’ancien président afghan, Hamid Karzai, mercredi à Kaboul au lendemain de leur engagement à oeuvrer à la réconciliation nationale. Un geste que le dernier chef de l’État, Ashraf Ghani, réfugié à l’étranger, a approuvé.
Les États-Unis ont de leur côté accusé les nouveaux maîtres de l’Afghanistan de ne pas tenir leur promesse de laisser les Afghans voulant fuir accéder librement à l’aéroport de la capitale.
Les talibans, qui cherchent à former un gouvernement, ont annoncé qu’ils avaient « gracié tous les anciens responsables gouvernementaux », a indiqué le groupe de surveillance des sites islamistes SITE. Ils ont diffusé des images d’Hamid Karzai avec Anas Haqqani, un des négociateurs de leur mouvement.
Ces négociations ont été bien accueillies par l’ex-président, Ashraf Ghani, qui a précipitamment quitté dimanche son pays pour les Émirats arabes unis, d’où il s’est adressé mercredi à ses compatriotes. « Je souhaite le succès de ce processus », a-t-il déclaré dans un message vidéo publié sur Facebook, précisant qu’il n’avait « aucune intention » de rester en exil.
Les États-Unis, pour lesquels « rien » ne laissait présager que l’armée et le gouvernement afghans s’effondreraient aussi vite, ont pour leur part répété mercredi qu’ils considéraient qu’Ashraf Ghani n’était « plus une personne qui compte en Afghanistan ».
Nous nous engageons à laisser les femmes travailler dans le respect »
des principes de l’islam ZABIHULLAH MUJAHID
Selon le président Joe Biden, il aurait été impossible de retirer les troupes américaines sans une forme de « chaos » dans le pays. L’idée « que d’une façon il y avait un moyen de sortir sans que le chaos s’ensuive, je ne vois pas comment cela est possible », a-t-il dit mercredi à la chaîne ABC.
Calme incertain
Dans le même temps, la vie a commencé à reprendre à Kaboul, même si la peur est là. La capitale afghane a été très calme mercredi, la plupart des administrations et des commerces ayant fermé en raison de l’Achoura, une importante fête religieuse chiite.
Nombre d’Afghans ont toutefois continué de se rassembler devant les ambassades, au gré des rumeurs sur la possibilité d’obtenir un visa ou l’asile. Sur le terrain, les évacuations se poursuivaient dans des conditions difficiles, mercredi. Le Pentagone, qui souhaite évacuer autant de personnes que « possible », soulignait certes que les islamistes « facilitaient le passage » vers l’aéroport de Kaboul des citoyens américains. Mais « nous avons vu des informations rapportant que les talibans […] empêchent les Afghans qui souhaitent quitter le pays d’atteindre l’aéroport », a déploré le Département d’État.
Cette semaine, les talibans ont tenté de rassurer la communauté internationale à l’occasion de la première conférence de presse qu’ils ont donnée à Kaboul, deux jours après avoir pris le pouvoir. Mais le cofondateur de leur mouvement, le mollah Abdul Ghani Baradar, appelé à de hautes fonctions, a regagné l’Afghanistan. Et le monde se souvient de leur passif en matière de droits de la personne quand ils gouvernaient de 1996 à 2001. « Tous ceux qui sont dans le camp opposé sont pardonnés de A à Z. Nous ne chercherons pas à nous venger », a assuré un de leurs porte-parole, Zabihullah Mujahid.
Inquiétudes pour les femmes
Zabihullah Mujahid a affirmé que les islamistes avaient appris de leur premier exercice du pouvoir et qu’il y aurait de « nombreuses différences » dans leur manière d’administrer leur pays, même si, idéologiquement, « il n’y a pas de différences ». Sous le précédent régime taliban, jeux, musique, photographie et télévision étaient interdits. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels, tués. Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin ou de travailler, les filles, d’aller à l’école. Les femmes accusées d’adultère étaient fouettées et lapidées à mort.
« Nous nous engageons à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l’islam », a lâché M. Mujahid.
Dans un communiqué commun, les États-Unis et l’UE, de même que 18 autres pays dont le Canada et le Brésil, se sont néanmoins dits mercredi « profondément inquiets » pour les droits des « femmes et des filles en Afghanistan ».