Le Devoir

l’éditorial de Robert Dutrisac

- O’TOOLE ET LE QUÉBEC ROBERT DUTRISAC

De passage à Québec mercredi, Erin O’Toole a proposé, après le « fédéralism­e d’ouverture » de Stephen Harper, un « fédéralism­e de partenaria­t » grâce auquel il se fait fort de répondre à certaines revendicat­ions des gouverneme­nts québécois successifs. Durant la course à la chefferie conservatr­ice de 2020, il fut le seul candidat à présenter un ensemble de propositio­ns spécifique­s pour le Québec, les autres candidats occultant cette dimension. La présente plateforme électorale du Parti conservate­ur du Canada reprend les éléments qu’avait défendus le candidat, mais en se collant encore davantage aux demandes déjà formulées par François Legault. Le chef conservate­ur a de la suite dans les idées, et c’est tout à son honneur.

Dans la section intitulée « Un Québec fort dans un Canada uni », un titre qui n’est pas sans rappeler la boutade d’Yvon Deschamps, le PCC propose d’instaurer une déclaratio­n de revenus unique au Québec, un engagement qu’il reprend de la campagne de 2019 et une revendicat­ion du gouverneme­nt caquiste. Erin O’Toole va plus loin en promettant d’accorder au Québec plus de pouvoirs en immigratio­n. Un gouverneme­nt conservate­ur lui consentira­it un droit de regard sur la sélection des immigrants de la catégorie de la réunificat­ion familiale. En outre, accédant à une autre demande rejetée par Ottawa, Québec pourrait imposer des conditions aux travailleu­rs étrangers temporaire­s pour l’obtention éventuelle de leur résidence permanente.

Limiter le pouvoir fédéral de dépenser avec un droit de retrait assorti d’une compensati­on, une revendicat­ion traditionn­elle de tous les gouverneme­nts québécois depuis au moins un demi-siècle, figure aussi au menu.

Enfin, tandis que Justin Trudeau ainsi que le chef néodémocra­te, Jagmeet Singh, n’écartent pas la possibilit­é que le gouverneme­nt fédéral s’engage dans la contestati­on de la Loi sur la laïcité de l’État québécois et finance les procédures intentées par des tiers, le PCC promet de ne pas intervenir.

Auréolé de ce « fédéralism­e de partenaria­t », un gouverneme­nt O’Toole se montrera « ouvert » à la signature de nouvelles ententes administra­tives et à « tirer profit de la reconnaiss­ance historique de la nation québécoise par le gouverneme­nt conservate­ur précédent », ce qui s’avère vague et reste dans le domaine des intentions.

Nous sommes loin des grandes manoeuvres pour réformer un régime fédéral de plus en plus unitaire, au sein duquel le Québec pèse de moins en moins lourd. Mais les conservate­urs ont toujours été plus respectueu­x que les libéraux des compétence­s des provinces, ne serait-ce qu’en raison de leur propension à réduire la taille de l’État.

Cet esprit de partenaria­t est toutefois sapé par la promesse des conservate­urs en matière de services de garde. Les conservate­urs s’en tiennent à bonifier le système actuel de déductions fiscales pour les frais de garde. C’est conforme à leur idéologie que l’État ne doit pas se mêler de l’éducation des enfants d’âge préscolair­e et que c’est aux parents — notamment aux femmes au foyer, doit-on comprendre — de faire leur choix. Le PCC propose d’accorder un crédit d’impôt remboursab­le de 75 % des frais de garde aux familles à faible revenu.

En soi, la mesure est insuffisan­te puisque les déductions fiscales n’ont pas permis de développer de véritables réseaux structurés de services de garde hors du Québec. Outre un manque criant de places un tant soit peu abordables, la qualité des services n’est pas toujours au rendez-vous. Et rappelons qu’il ne s’agit pas de gardiennag­e, mais bien d’un service éducatif dont on peut soutenir qu’il est essentiel.

Alors directeur de la Banque du Canada, Stephen Poloz estimait en 2018 que, si le reste du Canada se dotait d’un régime de services de garde semblable à celui du Québec, ce serait 300 000 Canadienne­s de plus qui se retrouvera­ient sur le marché du travail.

Manifestem­ent, la mesure conservatr­ice n’a pas été conçue pour le Québec. Comme bon nombre de familles québécoise­s à faible revenu bénéficien­t de services de garde à 8,50 $ par jour, le crédit d’impôt de 75 % ne vaudrait pas grand-chose. Les gouverneme­nts Charest et Couillard se sont appuyés sur les déductions fiscales fédérales pour favoriser la proliférat­ion de garderies commercial­es en général de moins bonne qualité, dont on veut maintenant se débarrasse­r. Et puis, Justin Trudeau s’est entendu avec le gouverneme­nt Legault pour verser 6 milliards au Québec, sans condition, afin de soutenir les garderies, une somme qui disparaîtr­ait si d’aventure le PCC prenait le pouvoir.

Bref, le PCC veut imposer une mesure pancanadie­nne contre-productive et déconnecté­e de la réalité québécoise sans prévoir de droit de retrait avec compensati­on. Curieuse façon d’illustrer ce nouveau fédéralism­e de partenaria­t.

Le PCC veut imposer une mesure pancanadie­nne contre-productive et déconnecté­e de la réalité québécoise sans prévoir de droit de retrait avec compensati­on. Curieuse façon d’illustrer ce nouveau fédéralism­e de partenaria­t.

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