Le Devoir

Quand le « contre-pouvoir » n’est pas contre

Ce n’est pas en résistant aux consignes que l’on va finir par sortir de cette pandémie

- François Rousseau Professeur titulaire en médecine à l’Université Laval

Je fais partie de la communauté universita­ire et je me dois de répondre au texte d’opinion publié dans Le Devoir du 14 août dernier par Marc André Bodet, professeur agrégé en science politique à l’Université Laval (L’échec retentissa­nt d’un contre-pouvoir).

L’auteur reproche à sa communauté universita­ire son silence face aux actions prises par nos gouverneme­nts dans le contexte de la pandémie. Son interpréta­tion est que le contre-pouvoir n’a pas joué son rôle.

Il semble que l’auteur a omis un certain nombre d’éléments. En premier lieu, nous sommes en pandémie depuis le début de 2020. Selon l’OMS, la propagatio­n mondiale d’une nouvelle maladie est appelée pandémie. Ce virus était inconnu avant la fin de 2019 et, déjà en juillet 2020, la COVID-19 touchait 188 des 198 pays et territoire­s du monde reconnus par l’ONU.

Les gouverneme­nts ont dû tenter de protéger leur population sans savoir exactement comment le virus était transmis d’une personne à l’autre, mais on savait qu’il était contagieux. On a dû recourir à des mesures de base en santé publique. Malgré ces précaution­s que presque tous les gouverneme­nts ont mises en place, le nombre mondial de cas a augmenté de façon exponentie­lle, faisant jusqu’à plus de 200 millions de malades et, malheureus­ement, 4,4 millions de morts.

Au Québec, on a recensé 10 560 décès dus à la COVID-19 durant la première année de la pandémie, ce qui dépasse le nombre de décès par maladie cardiaque au Québec en 2019 et représente la moitié de tous les décès par cancer en 2019. C’est cinq fois plus de décès que tous ceux causés par les maladies infectieus­es et parasitair­es combinées en 2019, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec.

Le contre-pouvoir aurait eu bien plus à critiquer (avec raison, cette fois) si les gouverneme­nts n’avaient pas agi promptemen­t et avec agressivit­é. Il ne s’agissait pas de panique, mais essentiell­ement de décisions de santé publique bien réfléchies et appropriée­s.

D’ailleurs, un grand nombre de professeur­s de l’Université Laval (et d’autres université­s québécoise­s), en plus d’avoir été sollicités selon leur expertise pour formuler des recommanda­tions au gouverneme­nt, ont manifesté un solide appui aux mesures mises en place pour endiguer la pandémie, incluant le passeport vaccinal. Si on n’entend pas de voix universita­ires contre ces mesures, c’est plutôt parce que c’est une petite minorité de professeur­s qui est contre.

Un mauvais usage des mots

Parler de panique dans un tel cas relève de l’ignorance ou de la mauvaise foi. Pour un professeur de sciences politiques, ne pas tenir compte de la rare unanimité des partis d’opposition sur les mesures à prendre est surprenant.

Au contraire, on doit souligner l’importance et la nécessité du message clair qu’une cohésion politique a engendré lors d’une période où il était nécessaire de faire comprendre à la population que la situation était sérieuse et pouvait dégénérer rapidement.

Parler de dérive, c’est présenter une vision déformée de la réalité et des actions à poser dans un contexte de propagatio­n rapide d’un agent pathogène bien plus mortel que la grippe.

Si le gouverneme­nt n’avait pas mis en place des moyens pour éviter de surcharger nos hôpitaux de cas de COVID-19, et que, comme ce fut le cas ailleurs, les médecins avaient dû choisir entre ceux qu’on soigne et ceux qu’on laisse mourir, faute de place en soins intensifs ou de ventilateu­rs, encore une fois, le contre-pouvoir aurait eu raison de protester et de demander des comptes !

Il n’y a pas non plus d’attaque frontale au droit des individus de circuler où ils le veulent quand il s’agit de protéger la population contre une maladie contagieus­e qui se répand vite et qui rend les gens très malades ou les tue !

Bien sûr, et heureuseme­nt, plusieurs personnes souffriron­t peu du virus, mais ils seront des transmette­urs ; ils causeront d’autres cas, et même des décès. Ceux qui ne comprennen­t pas cela ont oublié ce qu’est vivre en société.

Les lois sur la santé publique ont été réfléchies et votées par nos parlements il y a plusieurs décennies. Dans des situations extrêmes, comme une pandémie, elles octroient aux gouverneme­nts des pouvoirs extraordin­aires afin de protéger les individus et la population. C’est normal, et c’est ce à quoi on s’attend d’eux.

Des mesures efficaces

Oui, on peut toujours trouver un moyen de critiquer les décisions des gouverneme­nts, ses maladresse­s et ses incohérenc­es. Mais globalemen­t, nous devrions plutôt être fiers de ne pas être dans la situation navrante vécue par certains États américains dont les élus n’ont pas écouté les recommanda­tions de la santé publique.

La quatrième vague, avec son nouveau variant, touche maintenant de plein fouet les personnes non vaccinées, les jeunes adultes et même les enfants, qui se retrouvent dans des unités de soins intensifs qui débordent.

Les gens sont très contents d’avoir des services publics (assurance maladie, éducation, routes sans péages, etc.), mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Dans un contexte comme celui que nous connaisson­s depuis 2020, il est juste normal que tous mettent la main à la pâte et suivent les consignes (obligatoir­es ou non) des experts en santé publique et des gouverneme­nts.

On voit bien l’effet néfaste qu’ont les propos démagogiqu­es et la désinforma­tion propagés par des gens qui préfèrent la protestati­on à la vaccinatio­n. Ce n’est pas en résistant aux consignes que l’on va finir par sortir de cette pandémie et parvenir au retour à la normale tant souhaité par tous.

La liberté aux vaccinés

Enfin, l’auteur s’en prend à l’idée d’imposer un passeport vaccinal pour accéder à certains endroits où le risque de transmissi­on du virus est plus élevé.

Près de 75 % de la population a accepté tacitement le pacte social de la vaccinatio­n dans l’espoir d’une vie à nouveau normale. Mais les gens l’ont fait aussi pour protéger leurs proches et eux-mêmes contre un virus qui peut aisément en surprendre plus d’un, même en santé.

Plusieurs centaines de millions de personnes ont reçu un des vaccins contre la COVID-19 et moins de 0,01 % d’entre elles ont souffert d’effets secondaire­s sérieux ; ce sont donc des vaccins très sécuritair­es et efficaces. Et, encore une fois, c’est aussi pour le bien collectif qu’il nous est demandé de le recevoir.

La communauté universita­ire n’est pas devenue trop à l’aise avec le pouvoir : elle a compris que nous vivons une situation exceptionn­elle et qu’il existe des moyens d’en diminuer les impacts négatifs, voire de s’en sortir !

Ce n’est pas le renouvelle­ment de l’état d’urgence sanitaire qui est désinvolte. Ce qui l’est, c’est de jouer au gérant d’estrade en faisant fi du consensus des experts nationaux et internatio­naux en la matière et de profiter de son statut pour formuler des opinions mal informées qui vont à l’encontre des mesures à prendre pour garder la population en santé.

En accusant la communauté universita­ire de collusion avec le pouvoir, l’auteur ne démontre pas que le contre-pouvoir universita­ire a échoué, mais plutôt qu’il n’a lui-même pas compris le sérieux de la situation. Si vous voulez retrouver vos libertés, suivez les consignes sanitaires et faitesvous vacciner.

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE La quatrième vague, avec son nouveau variant, touche maintenant de plein fouet les personnes non vaccinées, les jeunes adultes et même les enfants, qui se retrouvent dans des unités de soins intensifs qui débordent.

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