Mali : le favori à la présidence a des intérêts à Montréal
L’actuel favori aux élections présidentielles du Mali, où se sont déroulés deux coups d’État en moins d’un an, est le président et principal actionnaire d’une firme énergétique montréalaise spécialisée dans l’hydrogène — une entreprise qui a pignon à la même adresse que le cabinet d’avocats Lavery —, a constaté Le Devoir.
Cette adresse montréalaise permettrait aussi à cette société, qui n’a pas d’employés au Québec, de profiter d’avantages fiscaux.
Aliou Boubacar Diallo est l’une des figures les plus en vue du Mali. Fondateur du parti Alliance démocratique pour la paix (ADP-MALIBA), il est l’actuel favori aux élections présidentielles prévues en février 2022, selon plusieurs observateurs. Une vingtaine de partis politiques ont appuyé la semaine dernière sa candidature, estimant qu’il saurait sortir le pays du chaos dans lequel il est enlisé depuis une décennie.
En un an, deux coups d’État ont eu lieu dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta était renversé lors d’un putsch. Puis, en mai 2021, l’armée malienne a de nouveau renversé l’exécutif.
Or, en parallèle de ses activités politiques, Aliou Diallo est avant tout un homme d’affaires connu pour avoir fait fortune dans les années 2010 à titre de président fondateur de Wassoul’Or. Cette société minière — dont il a cédé ses parts en 2019 pour près de 200 millions de dollars américains, selon les estimations du média Financial Afrik — exploite toujours l’un des plus importants gisements d’or d’Afrique dans la région de Sikasso, au Mali.
Entreprise « canadienne »
Depuis 2006, l’actuel candidat à la présidence est également p.-d.g. et principal actionnaire d’Hydroma. Anciennement connue sous le nom de Petroma, l’entreprise est enregistrée à la Place Ville-Marie de Montréal, à la même adresse que le cabinet d’avocats Lavery, a constaté Le Devoir.
Hydroma détient un permis pour extraire de l’hydrogène naturel sur un territoire d’une superficie de plus de 1250 km situé au Mali. L’hydrogène naturel est considéré comme de l’hydrogène à l’état pur. Et ce site malien est présenté par l’entreprise « canadienne » comme « la première grande découverte d’hydrogène naturel au monde ».
Associé et membre du CA chez Lavery, René Branchaud agit à titre de secrétaire de la société. Il explique que l’entreprise est toujours en phase d’exploration pour évaluer la quantité d’hydrogène qui se trouve sous terre et la faisabilité de l’extraire afin de la distribuer au Mali ou de l’exporter. « Le Mali est un pays enclavé. Ça prendrait probablement une voie ferrée pour amener l’hydrogène à un port, probablement au Sénégal. Et de là, par bateau, ça pourrait être transporté vers d’autres marchés », explique-t-il. Hydroma envisage aussi l’acquisition de terrains ailleurs en Afrique pour produire de l’hydrogène à partir d’énergie solaire.
Questionné sur la présence du siège social à Montréal à l’adresse du cabinet Lavery, Me Branchaud répond : « Ce n’est certainement pas pour des considérations fiscales. » Il confie avoir rencontré M. Dallio en 1987 dans le cadre d’un autre projet minier. L’actuel candidat cherchait des ressources humaines, du financement et des avocats : « Il voulait avoir une structure dans un pays membre de l’OCDE, plutôt que dans un pays africain, parce qu’il y a moins de risques juridiques. »
Il ajoute : « C’est très fréquent que des sociétés aient leur place d’affaires chez leurs avocats pour recevoir leur courrier. Tous les grands et petits cabinets d’avocats font ça pour des sociétés étrangères qui n’ont pas nécessairement un bureau au Canada. » Le cabinet Lavery « doit être le bureau désigné pour des centaines de sociétés [étrangères] ».
Plusieurs raisons juridiques et fiscales expliquent la présence au Canada d’entreprises étrangères du secteur des ressources naturelles, rappelle Marie-Thérèse Dugas, professeure à l’Université de Sherbrooke spécialisée en fiscalité internationale.
Le droit fiscal canadien « est administré de façon rigoureuse », note-t-elle, ce qui a pour effet de rendre les investissements plus sécuritaires. « Le taux d’imposition des sociétés au Canada est avantageux : il est généralement de 15 %, ce qui est comparable à l’impôt minimum mondial prévu tel qu’initié par le G20 dans ses récents énoncés. »
À cela s’ajoutent les programmes de recherche et développement fédéraux et provinciaux qui « sont extrêmement pertinents pour des entreprises comme celle-là. […] Ça peut les ramener à des taux d’imposition qui se situent pratiquement à zéro ».
Au fil des décennies, rappelle-t-elle, le Canada a mis en place nombre d’accords fiscaux à l’international qui protègent les investissements à l’étranger. S’il n’a pas d’entente fiscale avec le Mali, le Canada a néanmoins renforcé ses liens avec le pays africain. En 2016, les deux pays ont signé un accord bilatéral sur la promotion et la protection des investissements qui favorise et garantit les investissements canadiens au Mali.
Selon son inscription au registre des entreprises, Hydroma n’a pas d’employés au Québec. Là encore, cette situation peut se révéler avantageuse. Lorsqu’une entreprise n’a pas « de véritables activités » sur le territoire où elle est enregistrée, elle peut déplacer des fonds là où les actifs sont présents et où les activités ont lieu. « Ça permet de bénéficier d’un taux d’imposition effectif mondial optimal », conclut-elle.
Le taux d’imposition des sociétés au Canada est avantageux MARIE-THÉRÈSE DUGAS »