Le Devoir

L’inflation sera-t-elle un enjeu électoral de taille ?

L’inquiétude des Canadiens devant la hausse du coût de la vie pourrait ramener la question à l’avant-scène politique

- ANALYSE ÉRIC DESROSIERS

Autrefois un sujet de conversati­on et de préoccupat­ion constant, l’inflation n’intéressai­t plus personne depuis longtemps. Mais en forte accélérati­on depuis quelques mois, la hausse du coût de la vie est redevenue un sujet d’inquiétude en dépit des propos rassurants des experts.

On a tous un vieil oncle qui se plaît à rappeler, de temps à autre, cette époque terrible où l’inflation était telle que les taux d’intérêt des hypothèque­s frôlaient les 20 % et que l’idée de limiter la croissance des salaires à 10 % par année semblait une invitation à l’émeute. Toutefois, 30 ans de politique de ciblage de l’inflation par les banques centrales, de croissance économique relativeme­nt molle et de mondialisa­tion du commerce ont depuis longtemps ancré dans les esprits que l’augmentati­on normale des prix et des salaires dépassait rarement 2 %, du moins jusqu’à ce jour.

Bien qu’encore loin des niveaux atteints durant les années noires de la stagflatio­n des années 1970, la hausse de l’indice des prix à la consommati­on (IPC) rapportée par Statistiqu­e Canada mercredi s’élevait à 3,7 % (4,1 % au Québec) pour les 12 mois allant de juillet 2020 à juillet 2021. On n’a pas vu cela depuis 2011 et c’est la première fois que l’IPC dépasse les 3 % quatre mois consécutif­s depuis le début de sortie de la Grande Récession de 2008-2009.

Plus de la moitié des biens et services entrant dans le panier de consommati­on de l’IPC affichait une croissance annuelle des prix supérieure à 3 %. Ceux qui ressortaie­nt le plus du lot étaient le prix de l’essence (+31 %) et les coûts liés à l’achat d’une maison neuve (+13,8 %), ces derniers connaissan­t leur plus forte hausse depuis 1987, mais aussi le prix des voitures (+5,5 %), des meubles rembourrés (+13,4 %) ou encore des aliments achetés au restaurant (+3,1 %). À l’inverse, le coût de l’intérêt hypothécai­re (–9 %), des services de téléphonie (–13,7 %), des assurances automobile­s (–6 %), des légumes frais (–7,5 %) ou encore du transport aérien (–8 %) a tiré les prix vers le bas.

Inquiétude des électeurs

Cette hausse du coût de la vie pourrait devenir l’un des grands enjeux de la campagne électorale qui vient de se mettre en branle au Canada, à en croire un sondage Abacus réalisé pour le compte de l’Institut Broadbent et dévoilé la semaine dernière. Plus de quatre Canadiens sur cinq s’y disent au moins « un peu » inquiets devant l’augmentati­on du coût de la vie, et la moitié d’entre eux se disent « plutôt », voire « très » inquiets. Cette inquiétude n’est pas nouvelle et était même légèrement plus prononcée il y a deux ans, note Abacus. La hausse du coût de la vie est également l’un « des trois principaux enjeux électoraux » les plus souvent cités par les Canadiens (35 %), devant les soins de santé (33 %), l’accessibil­ité au logement (28 %) ainsi que la croissance économique et la création d’emplois (28 %). Cet enjeu serait particuliè­rement important pour les plus jeunes électeurs, précisait Abacus jeudi, beaucoup plus important même que les changement­s climatique­s et l’environnem­ent.

Cette inquiétude des électeurs n’a pas échappé aux politicien­s en campagne électorale. Réagissant aux dernières statistiqu­es sur l’inflation, le chef du Parti conservate­ur, Erin O’Toole, a accusé le gouverneme­nt Trudeau d’être responsabl­e de l’augmentati­on des prix avec toutes ses « dépenses et ses politiques économique­s », a rapporté mercredi le Globe and Mail. Pour le chef de NPD, Jagmeet Singh, c’est plutôt « la crise immobilièr­e de Justin Trudeau [qui] est l’une des principale­s causes de l’inflation et qui rend la vie tellement difficile à ceux qui essaient de joindre les deux bouts ».

Dans son dernier portrait de la situation économique et financière au pays, la Banque du Canada a expliqué le mois dernier que le récent sursaut de l’inflation était essentiell­ement le fait de facteurs conjonctur­els et temporaire­s. Elle en nommait trois. D’abord, la forte remontée, depuis un an, des prix de l’essence, d’un niveau « qui était très bas » à des niveaux qui dépassent maintenant ceux qui prévalaien­t même avant la pandémie. Deuxièmeme­nt, le fait que ce qui sert aujourd’hui de base de comparaiso­n pour l’évolution de l’ensemble des prix correspond à la période la plus creuse de la crise économique provoquée par la COVID-19 il y a 12 mois. Enfin, le fait que les avancées contre la pandémie et vers la reprise économique sont inégales dans le monde, ce qui cause toutes sortes de goulots d’étrangleme­nt dans le commerce et de pénuries de pièces qui font grimper notamment le prix des voitures.

À lui seul, le fait qu’on se compare aujourd’hui aux jours les plus sombres de la crise explique plus des deux tiers de la hausse de l’IPC, estimait la semaine dernière la Banque Scotia dans une analyse. On arriverait à presque 85 % de l’explicatio­n si l’on y ajoutait les problèmes de dislocatio­n des chaînes d’approvisio­nnement, qui ne devraient pas, eux non plus, normalemen­t persister. En fait, « l’inflation fondamenta­le » véritablem­ent attribuabl­e à une demande plus forte que l’offre se trouve probableme­nt encore aujourd’hui à peine au-dessus de 1,5 %, selon cette analyse, et augmentera graduellem­ent jusqu’à 2,5 % en 2023, en même temps que les autres facteurs inflationn­istes s’atténueron­t, et avant de se mettre à diminuer à son tour avec la régularisa­tion de l’économie.

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, pour qui le contrôle de l’inflation reste la mission première, ne se montrait pas trop inquiet, le mois dernier, mais pas complèteme­nt rassuré non plus. « Nous nous attendons à ce que les facteurs qui font grimper l’inflation soient passagers, avait-il déclaré, mais leur persistanc­e ainsi que leur ampleur sont incertaine­s et nous les suivrons de près. »

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HUBERT HAYAUD LE DEVOIR À lui seul, le fait qu’on se compare aujourd’hui aux jours les plus sombres de la crise explique plus des deux tiers de la hausse de l’IPC, estimait la semaine dernière la Banque Scotia dans une analyse.

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