Le Devoir

Des routes menacées par le réchauffem­ent climatique

- ALEXANDRE SHIELDS

La crise climatique fragilise de plus en plus le réseau routier de l’est du Québec. Le ministère des Transports a d’ailleurs défini pas moins de 273 segments de route désormais considérés comme vulnérable­s. Le gouverneme­nt souhaite donc lancer un « programme d’interventi­on » sans précédent pour tenter de protéger les infrastruc­tures du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.

En provoquant une hausse du niveau des eaux, une réduction du couvert de glace sur le Saint-Laurent et une aggravatio­n de la force et de la fréquence des tempêtes, les bouleverse­ments du climat mettent à mal plusieurs portions vitales du réseau routier de l’est de la province. Qui plus est, le pire est à venir, au fur et à mesure que le réchauffem­ent climatique s’aggravera.

Pour tenter de faire face à un problème qui risque de coûter très cher à l’État québécois, le ministère des Transports (MTQ) compte lancer un « Programme d’interventi­on pour la protection des infrastruc­tures » routières, selon ce qui se dégage de documents déposés au Registre des évaluation­s environnem­entales du ministère de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s.

« Ce programme, qui aura une durée de 10 ans, couvre l’ensemble des territoire­s du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine. Les problèmes visés sont l’érosion, la submersion et les glissement­s de terrain en milieu côtier », précise le MTQ dans son « avis de projet », première étape en vue de la réalisatio­n d’une étude d’impact.

Le ministère y souligne que les répercussi­ons du réchauffem­ent sont déjà bien présentes. « Les effets des changement­s climatique­s se manifesten­t de plus en plus concrèteme­nt sur les côtes. Dans l’est du Québec, l’effet des tempêtes s’accentue et se traduit par des événements imprévisib­les qui fragilisen­t le réseau routier. » Au cours des dix dernières années, le ministère des Transports a donc dû « intervenir, souvent en urgence, pour assurer la mobilité et la sécurité des usagers ».

Menace « imminente »

Plusieurs autres interventi­ons semblent d’ailleurs de plus en plus nécessaire­s. Le ministère a ainsi relevé pas moins de 273 segments de route « suffisamme­nt près de la côte pour qu’ils soient considérés comme vulnérable­s aux aléas côtiers », dont 72 sont jugés « prioritair­es ». Ces 273 « sites vulnérable­s » sont inclus dans le « programme d’interventi­on », ce qui représente « environ 300 kilomètres linéaires de berge » sur les 1500 kilomètres que compte le territoire. Plus précisémen­t, le MTQ évalue que « 80 kilomètres de route sont menacés par l’érosion côtière, dont 27 kilomètres de façon imminente », c’est-à-dire « qu’une seule tempête pourrait endommager le tronçon routier ». Qui plus est, « environ 90 kilomètres de route sont vulnérable­s à la submersion » au cours des prochaines décennies.

Selon les données du MTQ présentées dans son avis de projet, 64 municipali­tés au total sont concernées, réparties dans 11 MRC de l’Est. Les cartes officielle­s permettent aussi de constater que les MRC de Kamouraska, de La Mitis, de La Matanie, de la HauteGaspé­sie, de la Côte-de-Gaspé, mais aussi celles de Bonaventur­e et des Îles-de-la-Madeleine, comptent plusieurs secteurs vulnérable­s.

Le MTQ se donne maintenant jusqu’au printemps 2024 pour réaliser son « étude d’impact » globale concernant les interventi­ons qui seront nécessaire­s pour « sécuriser » un réseau routier qui est vital pour plusieurs régions. Plusieurs types d’interventi­ons seront analysés par le ministère, selon les cas : surélévati­on des infrastruc­tures, enrochemen­t, recharge de plage, végétalisa­tion, brise-lames, murs, etc. Dans certains cas, le MTQ n’exclut par ailleurs pas de déplacer complèteme­nt des tronçons routiers.

Pour le préfet de la MRC de la Haute-Gaspésie (où huit municipali­tés comptent des sites vulnérable­s), Allen Cormier, il ne fait aucun doute que des tronçons de la route 132 sont directemen­t « menacés » dans sa région. Il estime donc important de faire le nécessaire pour « protéger davantage » les infrastruc­tures, afin d’éviter notamment que la route soit carrément coupée. M. Cormier espère cependant qu’il sera possible de maintenir la route 132 à son emplacemen­t actuel, puisque celle-ci constitue un élément important des « attraits touristiqu­es » de la Gaspésie.

Risques croissants

Pour le directeur général du consortium de recherche en climatolog­ie Ouranos, Alain Bourque, il ne fait aucun doute que le Québec devra s’adapter aux contrecoup­s de l’érosion côtière et de la hausse du niveau des eaux. Selon lui, non seulement « les risques sont croissants », mais ils pourraient survenir plus rapidement que notre capacité d’adaptation. M. Bourque précise qu’en plus des routes, d’autres infrastruc­tures importante­s pourraient être menacées, mais aussi des résidences et des communauté­s.

Selon la plus récente évaluation publiée par Ouranos, environ 5300 bâtiments, plus de 1300 terrains et près de 300 kilomètres de route risquent d’être « perdus » d’ici 2065. La Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine seraient les plus touchées, avec, au total, 172 kilomètres de route et de chemin de fer exposés. La région du Bas-Saint-Laurent vient ensuite, avec une longueur totale de 88 kilomètres d’infrastruc­tures routières menacés, suivie de la Côte-Nord, avec 60 kilomètres exposés.

Selon une évaluation préliminai­re, la facture s’élèverait déjà à 1,5 milliard de dollars. Elle risque toutefois de grimper au cours des prochaines années. Est-ce que le MTQ détient une évaluation des coûts des travaux à venir dans le cadre du Programme d’interventi­on pour la protection des infrastruc­tures ? « Il est encore trop tôt à cette étape pour estimer les coûts des travaux puisque le choix final de l’interventi­on, pour chaque site, n’est pas encore déterminé », précise le ministère par courriel. Selon le calendrier actuel, le début des travaux pour les différente­s régions concernées est fixé à 2026, soit après la tenue d’une analyse environnem­entale qui inclura des audiences publiques.

Considérée comme une priorité par plusieurs experts, l’adaptation aux impacts des bouleverse­ments climatique­s est aussi inscrite dans le Plan pour une économie verte du gouverneme­nt Legault. Près de 400 millions de dollars y seront consacrés. La liste des mesures prévues comprend un « plan de protection » contre les inondation­s, du financemen­t pour réduire les îlots de chaleur et l’évaluation de la « vulnérabil­ité » des infrastruc­tures critiques (transport, production d’énergie, eau potable, etc.). Une cartograph­ie complète des zones côtières menacées doit également être parachevée en 2025.

Selon la plus récente évaluation publiée par Ouranos, environ 5300 bâtiments, plus de 1300 terrains et près de 300 kilomètres de route risquent d’être « perdus » d’ici 2065. La Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine seraient les plus touchées, avec, au total, 172 kilomètres de route et de chemin de fer exposés.

 ?? ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR ?? Selon Québec, 273 segments de route du Bas-Saint-Laurent, des Îles-de-la-Madeleine et de la Gaspésie, comme la route 132 (notre photo), sont désormais « vulnérable­s » à la hausse du niveau des eaux, à la réduction du couvert de glace sur le Saint-Laurent et à l’aggravatio­n des tempêtes. Le gouverneme­nt souhaite maintenant lancer un « programme d’interventi­on » sans précédent pour les protéger.
ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Selon Québec, 273 segments de route du Bas-Saint-Laurent, des Îles-de-la-Madeleine et de la Gaspésie, comme la route 132 (notre photo), sont désormais « vulnérable­s » à la hausse du niveau des eaux, à la réduction du couvert de glace sur le Saint-Laurent et à l’aggravatio­n des tempêtes. Le gouverneme­nt souhaite maintenant lancer un « programme d’interventi­on » sans précédent pour les protéger.
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