Le Devoir

LES CORDES SENSIBLES, LA CHRONIQUE DE KONRAD YAKABUSKI

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Il y a 37 ans ce mois-ci, en pleine campagne électorale, Brian Mulroney prononce un discours qui changera le cours de l’histoire politique du pays. À Sept-Îles, devant une salle remplie de quelques fidèles, le chef du Parti progressis­te-conservate­ur s’engage à ramener le Québec dans le giron constituti­onnel canadien dont il s’est exclu lors du rapatrieme­nt de 1982. « Si le Québec est affaibli, le Canada est affaibli, dit alors M. Mulroney. Nous allons, espérons-le et de bonne foi, convaincre l’Assemblée nationale du Québec de donner son assentimen­t à une nouvelle constituti­on canadienne avec honneur et enthousias­me. »

Quatre semaines plus tard, les conservate­urs balayent le Québec, gagnant 58 sièges en route vers l’obtention de la plus grande majorité à la Chambre des communes depuis la Confédérat­ion. De 13 % du vote populaire en 1980, les conservate­urs voient leur score au Québec monter en flèche, pour atteindre 50,2 % des voix exprimées. C’est le début d’une nouvelle ère politique au pays, où les efforts pour renouveler le fédéralism­e occupent une place prédominan­te dans les relations fédérales-provincial­es.

Hélas ! Depuis l’échec des accords du lac Meech et de Charlottet­own, et le départ de M. Mulroney de la scène politique, les conservate­urs ont retrouvé leur niveau habituel d’appuis au Québec. Peu de Québécois semblent voir en ce parti — qui a sensibleme­nt évolué depuis l’époque de M. Mulroney pour devenir, admettons-le, de plus en plus conservate­ur — une formation qui reflète leurs valeurs et leurs aspiration­s. Certes, tous les chefs conservate­urs qui ont succédé à M. Mulroney ont promis plus d’autonomie pour le Québec. Mais avec l’exception de Jean Charest, qui a été à la barre du parti lors des élections fédérales de 1997, aucun d’entre eux n’a su toucher la corde sensible des Québécois comme M. Mulroney avait si bien réussi à le faire.

Cette semaine, c’était au tour d’Erin O’Toole de tendre la main aux Québécois. Du « fédéralism­e d’ouverture » promis par Stephen Harper en 2006, nous sommes passés au « fédéralism­e de partenaria­t » de M. O’Toole. De quoi s’agit-il au juste ? Rien de révolution­naire, à en juger par la plateforme conservatr­ice dévoilée cette semaine, la même qui montre un Erin O’Toole rajeuni en t-shirt serré sur la page couverture. On y affirme que les conservate­urs vont « tirer profit de la reconnaiss­ance historique de la nation québécoise par le gouverneme­nt conservate­ur précédent, rester ouverts au développem­ent de nouvelles ententes administra­tives avec le gouverneme­nt du Québec afin de promouvoir un fédéralism­e décentrali­sé, négocier avec le gouverneme­nt du Québec pour simplifier les déclaratio­ns de revenus et offrir une déclaratio­n de revenus unique aux Québécois, et donner plus grande autonomie au Québec en matière d’immigratio­n ».

M. O’Toole s’engage à ne pas intervenir dans les contestati­ons judiciaire­s concernant la Loi sur la laïcité de l’État québécois, à limiter le pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines de compétence du Québec et à équilibrer le budget fédéral (en 2031) sans réduire les transferts aux provinces.

Il promet aussi de s’assurer que le Québec ne sera jamais « sous-représenté » à la Chambre des communes, sans toutefois expliquer comment il compte y procéder sans ouvrir la Constituti­on. Le Québec détient actuelleme­nt 23 % des sièges aux Communes. M. O’Toole propose-t-il que le Québec reste à ce niveau même lorsque sa population comptera, en quelques années à peine, pour moins de 20 % de la population canadienne ? La plateforme conservatr­ice ne le dit pas.

Clarifier ses intentions

Bref, le tout demeure très vague et présage des négociatio­ns ad infinitum avec le gouverneme­nt du Québec, sinon de toutes les provinces canadienne­s. Quelle est la volonté réelle de M. O’Toole d’en arriver à des ententes visant à augmenter l’autonomie québécoise ? Le chef conservate­ur devra clarifier ses intentions avant la fin de la campagne s’il souhaite convaincre les Québécois de sa bonne foi.

Après tout, la plateforme conservatr­ice propose aussi de « mettre fin au mauvais traitement de l’Ouest canadien » en ce qui concerne la péréquatio­n et les pipelines. Durant la course à la chefferie conservatr­ice en 2020, M. O’Toole avait promis d’instaurer « une loi sur les pipelines stratégiqu­es à l’échelle nationale ». Cet engagement, qui aurait permis à Ottawa d’imposer un oléoduc interprovi­ncial au Québec, ne se retrouve pas dans la plateforme conservatr­ice publiée cette semaine. À sa place, les conservate­urs promettent de traiter « en priorité les pipelines qui transporte­nt le pétrole canadien vers les marchés d’exportatio­n » et de faire « de l’augmentati­on des exportatio­ns d’énergie une priorité diplomatiq­ue dans nos relations avec le gouverneme­nt des États-Unis », et ce, malgré le refus catégoriqu­e du président Joe Biden de donner son accord à la réalisatio­n du pipeline Keystone XL.

Encore cette semaine, M. O’Toole s’est évertué à se distinguer de son prédécesse­ur, Andrew Scheer, en affirmant qu’il est « pro-choix » et qu’il croit aux changement­s climatique­s. Mais il a aussitôt été rattrapé par la promesse conservatr­ice de protéger le « droit de conscience » des profession­nels de la santé qui s’opposent à l’avortement et à l’aide médicale à mourir. Il s’agit du genre de contradict­ion qui risque de coûter cher aux conservate­urs au Québec.

Alors que son adversaire, lors de la course à la chefferie, Peter MacKay, ne voulait rien savoir des conservate­urs sociaux, M. O’Toole a sciemment courtisé cette clientèle en lui promettant une grande place au sein de son parti. Il doit maintenant vivre avec ce choix, ce qui rend d’autant plus difficile sa tentative de conquête du coeur des Québécois.

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