Le Devoir

: LES SOINS PALLIATIFS, LA CHRONIQUE DE MICHEL DAVID

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Les débuts de campagne du Parti conservate­ur au Québec ressemblen­t au jour de la marmotte. Chaque fois, le chef s’amène dans la « Belle Province », la main sur le coeur et le sourire aux lèvres, en entonnant le refrain du fédéralism­e d’ouverture. Erin O’Toole est sans doute sincère dans son désir de rendre le Canada plus acceptable pour les Québécois, comme l’étaient probableme­nt, à des degrés divers, ses prédécesse­urs, Andrew Scheer, Stephen Harper, Jean Charest et assurément Brian Mulroney. Bien entendu, l’objectif premier a toujours été d’obtenir leur vote, mais l’un n’empêche pas l’autre.

On pouvait difficilem­ent demander à ceux qui ont dirigé le PC depuis une trentaine d’années de promettre le grand retour du Québec dans le giron constituti­onnel « dans l’honneur et l’enthousias­me », comme l’avait fait M. Mulroney, qui en a payé le prix. Le Canada anglais a clairement démontré qu’il n’est pas disposé à le permettre.

Ce qu’on propose depuis s’apparente davantage à un « accommodem­ent raisonnabl­e » acceptable à ceux qui ne sont pas disposés à prendre le risque de la souveraine­té, mais qui veulent quand même se donner bonne conscience. Ceux qu’on appelait jadis les « nationalis­tes mous », un peu mal à l’aise dans le multicultu­ralisme trudeauist­e, dont un grand nombre se retrouvent aujourd’hui à la CAQ.

Malgré le clin d’oeil au « partenaria­t » de 1995, le « contrat » que propose aujourd’hui M. O’Toole ne modifierai­t pas substantie­llement la dynamique du fédéralism­e canadien, qui conduit inéluctabl­ement à la minorisati­on du Québec, mais il la rendrait un peu moins douloureus­e. Une forme de soins palliatifs, dont le chef conservate­ur propose simplement d’augmenter la dose.

Renforcer les pouvoirs du Québec en matière de sélection des immigrants et des réfugiés serait assurément une bonne chose, mais l’appartenan­ce à un État très majoritair­ement anglophone situé en Amérique du Nord demeurera toujours un formidable obstacle au développem­ent d’une société résolument française.

Même si un gouverneme­nt O’Toole promet de ne pas intervenir dans la contestati­on judiciaire de la loi 21 sur la laïcité, cela n’empêchera pas les tribunaux de la juger en fonction des dispositio­ns de la Charte canadienne des droits. Et le reste du pays d’applaudir à son éventuelle invalidati­on.

Tout ce qui peut contribuer à accroître l’autonomie du Québec sera bien accueilli par le premier ministre Legault, dont M. O’Toole aimerait évidemment avoir l’appui. La question, toujours la même, est toutefois de savoir si les valeurs qui guideraien­t un gouverneme­nt conservate­ur dans l’élaboratio­n de politiques applicable­s d’un océan à l’autre correspond­ent au genre de société que souhaitent les Québécois.

Il n’y a pas lieu de douter de la sincérité du chef conservate­ur quand il assure être pro-choix. Il s’est ravisé sur la question de la liberté de conscience des médecins et des infirmière­s, mais on peut légitimeme­nt entretenir une certaine méfiance, compte tenu des nombreux militants pro-vie au sein de son parti et de son futur caucus, opposés aussi bien au droit à l’avortement qu’à l’aide médicale à mourir, qui ne désarmeron­t pas facilement.

Et il y a, bien sûr, l’environnem­ent. L’espèce de compte d’épargne personnel par lequel le chef conservate­ur veut remplacer la taxe sur le carbone n’aurait certaineme­nt pas la même efficacité dans la lutte contre les changement­s climatique­s. Les efforts du Québec risquent plutôt d’être annulés par le laisser-faire des conservate­urs qui, de toute façon, nient que de tels changement­s existent.

Il est vrai qu’on fait moins de cas de l’environnem­ent quand le pouvoir est en jeu. Pour conserver ses châteaux forts de la région de Québec, les conservate­urs sont prêts à éponger 40 % de la facture du « troisième lien », peu importe le montant que cela représente. Les libéraux voient maintenant le projet d’un meilleur oeil et le Bloc québécois continue à ménager la chèvre et le chou. Seul le NPD, qui n’entretient aucun espoir dans la région, s’y oppose clairement.

Dans son contrat, M. O’Toole ne dit rien du projet de loi qu’il avait promis durant la course à la chefferie, qui autorisera­it le gouverneme­nt fédéral à imposer le passage d’un pipeline n’importe où au Canada. A-t-il décidé de le passer à la trappe, ce qu’il devra expliquer à ses partisans dans l’Ouest, ou une clause d’asymétrie en exempterai­t-elle le Québec ?

On le comprend très bien de courtiser le vote nationalis­te, qui a boudé son parti depuis les années Mulroney malgré la cour intense qu’il lui a faite à chaque élection. Rien ne ferait cependant plus plaisir à Justin Trudeau que de voir les conservate­urs et le Bloc québécois se le partager plus équitablem­ent, et permettre ainsi à quelquesun­s de ses candidats de se faufiler. Sans le savoir, M. O’Toole travaille peut-être pour son plus mortel ennemi. M. Legault ne demande sans doute pas mieux que de voir monter les enchères, mais il devrait quand même s’inquiéter un peu du résultat. À moins, évidemment, qu’il ne souhaite réduire l’effet des soins palliatifs.

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