Le Devoir

LIBÉRAUX ET CONSERVATE­URS AU FRONT DANS LE GRAND TORONTO

Les chefs libéral et conservate­ur passent à l’offensive dans la périphérie torontoise, convoitée

- BORIS PROULX À RICHMOND HILL LE DEVOIR

Je vais vous le dire, Markham est très conservate­ur. Mais ça change. Notre génération adore Trudeau !

Les gens ont des hypothèque­s assez importante­s, ce qui fait qu’ils sont assez réfractair­es aux impôts. Mais, d’un autre côté, ils dépendent beaucoup des infrastruc­tures de l’État.

Aux extrémités d’une banlieue torontoise qui semble infinie, deux circonscri­ptions parmi les plus chaudement convoitées du pays. À Markham et à Richmond Hill, libéraux et conservate­urs doivent braver la chaleur et l’apathie généralisé­e pour faire — ou défaire — un chemin vers un gouverneme­nt majoritair­e.

Les chefs conservate­ur et libéral ont visité mardi des circonscri­ptions détenues par leur adversaire, dans le sud de la région de York, l’un des rares lieux du Grand Toronto où des conservate­urs ont résisté au raz-de-marée rouge lors des élections de 2015 et de 2019. Le premier ministre Justin Trudeau a visité la circonscri­ption conservatr­ice de Markham–Unionville, alors qu’Erin O’Toole a organisé son tout premier rassemblem­ent public de la campagne le même jour tout juste de l’autre côté de l’autoroute 404, dans la circonscri­ption de Richmond Hill. Celle-ci a été remportée par le député libéral Majid Jowhari en 2019 par à peine 212 voix contre son rival conservate­ur, ce qui la place au troisième rang des luttes les plus serrées au Canada.

« Vous me portez chance ! » M. Jowhari revient victorieux après avoir convaincu dans sa langue — le farsi — une troisième électrice de lui laisser poser une pancarte devant son jumelé de banlieue de Richmond Hill. Sous le soleil de plomb d’août, il s’empresse d’inscrire son bon coup dans l’applicatio­n Libéralist­e, la base de données du parti.

Un peu plus loin, il croise la maîtresse d’un chien en promenade qui décline son invitation de parler politique. Ici, dans les pourtours multiethni­ques de la banlieue de Toronto, chaque vote compte.

« Est-ce qu’il y a de la pression ? Bien sûr, il y a de la pression », dit Majid Jowhari au Devoir, prêt à rencontrer des électeurs avec un paquet de pancartes sous le bras. Mais en matière de priorités, affirme-t-il, cette pression électorale passe bien après la stratégie gouverneme­ntale « pour garder les Canadiens en sécurité » contre la COVID-19.

Conservate­urs présents

Ses adversaire­s conservate­urs ont par contre bien fait savoir qu’ils n’entendent pas déserter le territoire. Pour preuve, c’est ici que le chef conservate­ur a choisi de faire sa première sortie publique après deux jours de rassemblem­ents virtuels.

Erin O’Toole a présenté Richmond Hill comme « la ville qui croît le plus rapidement au pays », un « mastodonte économique » dont devrait s’inspirer le Canada. Quelque 250 partisans, y compris une dizaine de ses candidats de ce coin de banlieue de Toronto, étaient rassemblés dans une salle de conférence­s aux décors vraisembla­blement inspirés de Versailles. L’endroit est situé dans le stationnem­ent d’un centre commercial, où la plupart des commerces indépendan­ts s’affichent avec des caractères chinois.

« Le plan de rétablisse­ment du Canada [la plateforme conservatr­ice], je veux vous voir en parler au Tim Hortons, je veux que vous parliez de notre plan en cinq piliers, après vos rencontres pour un café, à vos groupes de marche dans le parc, quand vous vous saluez du coude ou d’un signe de la main, quand vous cognez aux portes à distance sociale », a indiqué le chef dans son discours.

Erin O’Toole présente cette élection comme étant un simple choix entre sa vision et celle des libéraux, comme si les autres partis d’opposition ne comptaient pas dans la dynamique. L’argument est loin d’être juste partout au pays, mais il représente bien les forces en présence dans la plupart des nombreuses circonscri­ptions qui entourent la plus grande ville du Canada. Au total, le Grand Toronto compte 58 circonscri­ptions, soit seulement 20 de moins que tout le Québec.

Les stratèges du Parti conservate­ur considèren­t que les banlieues torontoi

ses, qui ont accordé une majorité à Stephen Harper en 2011, constituen­t toujours un terreau fertile pour Erin O’Toole. Son chemin vers la victoire passe obligatoir­ement par « le 905 », cette vaste banlieue multiethni­que surnommée par son indicatif régional et dominée depuis 2015 par le Parti libéral. Si les conservate­urs réussissen­t à faire perdre des plumes à Justin Trudeau, ça commencera nécessaire­ment par des gains ici. Malgré les nombreuses démarches du Devoir, son candidat local dans Richmond Hill, l’ex-député Costas Menegakis, a refusé l’accès à ses activités de campagne, contrairem­ent aux promesses initiales de son équipe.

Autre objectif du chef conservate­ur : faire réélire ses députés qui ont résisté à la déferlante rouge. L’un d’eux est le député Bob Saroya, dont la circonscri­ption de Markham-Unionville est convoitée par les libéraux. Dans son local de campagne, des centaines de pancartes électorale­s sont prêtes à être distribuée­s. Un bénévole raconte au Devoir que les enjeux locaux sont centrés autour de la question de la sécurité : problèmes de gangs criminels, d’armes à feu et de culture illégale du cannabis. Les conservate­urs disent avoir une longueur d’avance sur ce thème.

Campagne dans l’indifféren­ce

Sur le bitume surchauffé qui borde les nombreux grands boulevards, d’où on voit pousser ici et là de nouvelles tours de condominiu­ms, il n’est pas facile de rencontrer des citoyens prêts à parler politique dans la circonscri­ption conservatr­ice de Markham-Unionville. Des règlements municipaux y interdisen­t d’ailleurs la pose de pancartes électorale­s avant la semaine prochaine, rendant pour le moment la campagne plutôt invisible.

« Je crois que le plus important, ce sont les petites entreprise­s », note un homme retraité, attablé, un cigare à la main, dans la rue principale d’Unionville, sympathiqu­e coin de rue dans une ville autrement entièremen­t composée de développem­ents récents. Surnommé Raj, il ne veut pas révéler son nom complet, mais n’éprouve aucun problème à dire que, même s’il a voté pour les libéraux dans le passé, il hésite désormais à leur accorder son vote de nouveau.

« À l’époque, c’était vraiment conservate­ur ici, se rappelle le résident de Markham de longue date. Mais maintenant, c’est en train de changer », dit-il en parlant de sa ville.

Selon Statistiqu­e Canada, environ 65 % de la population de la circonscri­ption se dit d’ethnicité chinoise, 15 %, blanche et 10 %, sud-asiatique. C’est d’ailleurs un candidat d’origine asiatique, et ex-membre des forces de l’ordre, que les libéraux ont choisi pour essayer de déloger les conservate­urs. Lors de son passage dans la banlieue où il a surtout réitéré ses promesses de financemen­t pour les garderies, Justin Trudeau a présenté son candidat, Paul Chiang, un policier local comptant 28 ans de service.

« Je vais vous le dire, Markham est très conservate­ur », dit pour sa part Ricky Wung, étudiant en informatiq­ue de 23 ans, qui savoure son repas fusion asiatique tout près de l’un des immenses boulevards industriel­s similaires de cette ville périphériq­ue. « Mais ça change. Notre génération adore Trudeau ! » affirme-t-il, tout en soulignant qu’il croit personnell­ement aux dangers du surendette­ment des gouverneme­nts.

Courtisant une tranche sensibleme­nt similaire de l’électorat, les promesses locales varient d’ailleurs assez peu entre les deux principaux rivaux. Lors de son passage à Richmond Hill, Erin O’Toole a promis de se ranger derrière le projet libéral d’agrandisse­ment du métro de Toronto vers cette banlieue. Questionné sur les priorités de sa circonscri­ption, le député libéral Majid Jowhari a mentionné, dans les grandes lignes, les thèmes qui ont aussi constitué le discours du chef conservate­ur : la sécurité face à la COVID-19, la reconstruc­tion économique, le prix trop élevé des maisons et l’aide aux petites entreprise­s. La principale promesse présentée lors du passage du chef Justin Trudeau, les services de garde subvention­nés, a été mentionnée en toute fin de liste.

Campagne de banlieue

« Il n’y a pas une très grande organisati­on civique, et pas nécessaire­ment de grands lieux pour les rencontres politiques. Ce sont des gens qui vivent beaucoup dans leur automobile », résume le professeur de science politique de l’Université McMaster Peter Graefe, qui explique ainsi un certain désengagem­ent dans la banlieue.

Assez endettés à cause du prix très élevé des maisons, les résidents du 905 sont plutôt motivés par des considérat­ions économique­s, préférant les politicien­s pragmatiqu­es, selon lui. « Les gens ont des hypothèque­s assez importante­s, ce qui fait qu’ils sont assez réfractair­es aux impôts. Mais, d’un autre côté, ils dépendent beaucoup des infrastruc­tures de l’État. »

Dans le va-et-vient incessant des voitures, les électeurs se croisent au volant à bonne vitesse. Ils ne semblent pas aussi pressés de discuter de politique lorsqu’ils se garent dans les immenses stationnem­ents où Le Devoir est allé à leur rencontre. Prêts à porter le masque, quatrième vague de COVID-19 oblige, la majorité d’entre eux n’étaient pas prêts à faire part de leur opinion sur le scrutin. Une certaine apathie qui contraste avec les attentes particuliè­rement élevées des conservate­urs et des libéraux par rapport à l’électorat de ce coin de pays, voyant dans son vote le chemin menant à leur victoire.

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BORIS PROULX LE DEVOIR Le député libéral Majid Jowhari, qui a remporté en 2019 la circonscri­ption de Richmond Hill par seulement 212 voix, faisait du porte-à-porte mercredi. Sa banlieue figure parmi les luttes les plus chaudement disputées du Grand Toronto.
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