Le Devoir

« Le variant Delta danse plus vite que nous »

L’éclosion de COVID-19 dans une école de danse inspire de nouvelles craintes à l’approche de la rentrée scolaire

- CATHERINE LALONDE AMÉLI PINEDA

Malgré sa mise en place de règles sanitaires plus strictes que celles de la Santé publique, une école de danse renommée est aux prises avec une éclosion du variant Delta. Un professeur et huit élèves sont contaminés. L’une d’elles en est à son deuxième diagnostic COVID-19 en un an. « Si nous, on se retrouve dans cette situation, je peux vous dire que ça va être un bordel à la rentrée scolaire », s’inquiètent les directrice­s, qui craignent une hausse radicale des transmissi­ons.

« Nous, on a gardé les mêmes restrictio­ns sanitaires que l’an passé, plus sévères malgré les assoupliss­ements permis cet été. Et puis eh ! ça s’est passé quand même, on a une éclosion », confie la fondatrice de l’école de danse de loisirs, qui a demandé que son établissem­ent ne soit pas identifié afin de ne pas porter atteinte à sa clientèle.

« C’est à cause de ce que les jeunes font quand ils sortent de notre école, avance-t-elle pour expliquer la situation. On les voit, sur leurs comptes Instagram. Dans les couloirs, elles portent le masque et gardent la distance ; dehors, le midi, elles se prennent en photo, elles se collent, pas de masques.

Ce sont des ados ! » Trois groupes ont été contaminés la semaine dernière, l’un d’eux avec un seul cas.

« La rentrée arrive au moment où le variant Delta danse plus vite que nous », poursuiven­t les deux membres de la direction. « Ça nous fait de la peine [d’être le lieu d’une éclosion], mais qu’est-ce qu’on peut faire quand on voit quatre amies partir en covoiturag­e sans masque avec un parent dans une même auto ? »

Des règles jugées insuffisan­tes

Violaine Cousineau craint que le Québec se dirige tout droit vers une catastroph­e dans les milieux scolaires. Après une semaine au stage intensif de danse de cette école, son adolescent­e, qui a eu la COVID-19 en octobre dernier, et qui a reçu une dose du vaccin conforméme­nt aux recommanda­tions de la Santé publique, vient d’être déclarée à nouveau positive.

Ce qui inquiète la mère de famille, c’est que les mesures sanitaires imposées à l’école de danse sont similaires à celles prévues actuelleme­nt pour la rentrée au primaire et au secondaire : les enfants ne portaient pas de masque dans les studios, et ils étaient divisés en groupes allant de 10 à 15 enfants.

Pour Mme Cousineau, l’école de danse n’a pas à être pointée du doigt. « Elles ont respecté les règles,

Ce n’est pas un cas de Mega Fitness Gym. Mais les règles ne sont pas assez serrées. VIOLAINE COUSINEAU

souligne-t-elle. Ce n’est pas un cas de Mega Fitness Gym. Mais les règles ne sont pas assez serrées » pour entraver le variant Delta, 60 % plus contagieux que le variant Alpha, luimême encore plus contagieux que le virus originel.

« Ce que nous vivons est une projection de ce qui nous attend », prévient-elle. « Est-ce qu’avec les variants on peut se permettre de mettre de côté le port du masque ? Est-ce sécuritair­e de mettre nos enfants dans des salles de classe, sans ventilatio­n ? » poursuit-elle. « On n’a déjà pas réussi à garder le contrôle avec la souche initiale et les masques, alors avec le variant, c’est débile d’imaginer que ces conditions sont sécuritair­es. »

Dans la dernière semaine, le Réseau d’enseigneme­nt de la danse (RED) a été informé de deux éclosions parmi ses membres. « Dans les deux cas, les mesures sanitaires étaient suivies à la lettre et même de façon plus rigoureuse que les recommanda­tions », indique la directrice générale Véronique Clément. Pour des raisons de confidenti­alité, la Santé publique refuse de commenter, confirmer ou infirmer ces propos.

« Le virus a pu se promener dans les cours de danse, mais la Santé publique n’a pas conclu à ce jour que la danse était la cause de la propagatio­n. Il ne faut pas oublier que les élèves qui suivent des cours de danse ensemble sont aussi très souvent des amis dans la vie et se côtoient à l’extérieur. Les enseignant­s et directions d’école de danse ne peuvent pas être imputables des activités et contacts ailleurs que dans l’école. »

Mme Clément explique que les écoles de danse ont été rigoureuse­s. Entre autres parce qu’elles ont été fermées longtemps — huit mois lors de la deuxième vague seulement — et qu’elles veulent limiter les risques de devoir fermer à nouveau leurs portes. Une question de survie des affaires, en quelque sorte.

L’école touchée par une éclosion a décidé cette semaine qu’elle imposerait désormais le port du masque à tout le monde, en tout temps. Un choix fait aussi par l’École de danse contempora­ine de Montréal (ne faisant pas partie du RED), qui offre une formation profession­nelle, et des classes de loisir. Un camp d’été s’y est déroulé sans symptômes pour ses 90 participan­ts de 12 à 17 ans. Depuis le début de la pandémie, un seul cas de COVID-19 y a été recensé.

Éviter la réplicatio­n virale

Si les gestes barrières sont laissés de côté, il faut s’attendre à une hausse de la transmissi­on du virus prévient le Dr Bruno Bernardin, membre du collectif COVID-STOP. « Il faudrait que la Santé publique confirme le port du masque même au primaire, d’autant plus qu’actuelleme­nt les enfants de moins de 12 ans ne peuvent être vaccinés », mentionne-t-il.

L’allègement de mesures est d’ailleurs trop souvent perçu comme un retour à la vie normale, souligne le spécialist­e en médecine d’urgence. « Si on n’impose pas le port du masque, ça contribue à alimenter le phénomène que la COVID-19 chez les jeunes n’est pas grave, alors qu’il y a des risques de transmissi­on importants », insiste-t-il.

Le cas de la fille de Mme Cousineau est selon lui l’illustrati­on de ce qui attend les familles. « Le vaccin atténue les symptômes et évite qu’on se retrouve à l’hôpital. Le vaccin fonctionne pour diminuer la mortalité et la morbidité, mais avec le variant Delta, il faut s’attendre à ce que des gens même vaccinés puissent attraper le virus », rappelle-t-il.

« La COVID n’est pas terminée, et plus la transmissi­on continue, plus ça devient une baignoire fantastiqu­e de réplicatio­n virale. Et qui dit réplicatio­n virale dit qu’il y aura une autre mutation », prévient le docteur Bernardin.

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